En 1958, les constituants français ont choisi d'introduire un principe relativement inédit dans le texte constitutionnel, celui des pouvoirs propres. L'article 19 dispose ainsi que " Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables." Les pouvoirs correspondant à ces articles sont donc exercés librement par le Président, sans qu'ils doivent être soumis à l'obligation du contreseing. Parmi ces pouvoirs figure celui disposé par l'article 16, qui est probablement un des articles les plus célèbres et surtout les plus controversés du texte de 1958.
Cet article permet au président d'acquérir des pouvoirs exceptionnels en cas de crise majeure dans une France héritière de multiples crises politiques ces deux derniers siècles. Ces pouvoirs légitimés par des circonstances exceptionnelles s'inscrivent dans la continuité du discours du général de Gaulle de Bayeux et de la défaite de 1940. Il est légitimé par le lien direct qui existe entre le Président et la nation, décrit à l'article 5 de la Constitution : « Le Président de la République veille au respect de la constitution. Il assure par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité de l'Etat. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités ». Garant des intérêts nationaux, il possède ainsi des responsabilités particulières lorsque la nation et les institutions sont menacées.
L'article 16 donne ainsi en cas de crise les pleins pouvoirs au Président bien que le Conseil d'Etat parle de pouvoirs exceptionnels. Il s'agit en tout cas d'une extension considérable de ses pouvoirs face à des circonstances exceptionnelles. L'imprécision des termes de l'article et l'insuffisance souvent décriée des limites posées à son usage en font un article très controversé et potentiellement dangereux. Les conséquences de son application sont telles qu'on a pu parler d'une Constitution au sein même de la Constitution, O.Beaud la décrivait ainsi comme une "Constitution" de réserve dans la revue Pouvoirs de 1993
Si l'article 16 reste malgré les différentes interprétations et tentatives d'encadrement très imprécis dans ces termes et potentiellement dangereux, son intérêt ne réside-t-il pas moins dans son usage rarissime que dans ce qu'il révèle de la nature de la Ve République ?
[...] Or l'article 16 ne peut être utilisé que lorsque le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, parmi lesquels le Gouvernement, les assemblées ou le Conseil constitutionnel. Le précédent de 1961 qui s'était contenté d'une absence de contrôle sur une partie donnée du territoire règle éventuellement ce problème. La place du Parlement n'est d'ailleurs pas élucidée. Peut-il légiférer ou peut-il renverser le gouvernement ? Ces questions malgré de supposées "conventions" restent en suspens. L'argumentaire développé par Jacques Chaban-Delmas est controversé, en effet il n'est pas évident que l'impossibilité pour le Gouvernement d'engager sa responsabilité sur un texte le protège d'une telle motion. [...]
[...] D'autant que les parlementaires sont seuls juges en la matière. La Haute Cour de justice est donc la principale menace pour un président tenté d'utiliser l'article 16. C'est une sorte d'arme absolue pour le parlement. Le Pen n'y aurait pas échappé. Mais cela relève plus de la politique que du droit constitutionnel. Les débats autour de l'article 16 ont été relancés les attentats de 2001, certains craignant que d'hypothétiques menaces terroristes puissent un jour servir de seul argument pour utiliser l'article 16. [...]
[...] En effet, une décision du Président portant atteinte à une liberté serait de fait un acte législatif qui échapperait alors au contrôle du juge administratif. Elle ne pourrait pas non plus être déférée au Conseil constitutionnel. Finalement, les décisions prises sous le régime de l'article 16 ne seraient susceptibles d'aucun recours sauf si elles portent sur le domaine réglementaire, donc sur des objets d'importance moindre. Cette différence de régime juridique entre les décisions prises en vertu de l'article 16 et les ordonnances (art 38) est contestable. [...]
[...] Les pouvoirs en temps normal du Président de la République sont restreints quant au droit de dissolution. Un contrôle juridictionnel extrêmement réduit Savoir quelle est l'autorité compétente pour constater la réunion des conditions nécessaires et des circonstances exceptionnelles est un enjeu majeur de l'article 16. Dans la Constitution de 1958, c'est le Président de la République lui-même qui est le seul à être compétent. Il décide, éventuellement seul, du recours à l'article 16, sans nécessité de contreseing étant donné qu'il s'agit d'un pouvoir propre. [...]
[...] Certains constituants avaient clairement expliqué selon Michel Debré qu'elles devaient cesser au moment même où l'ordre normal antérieur était rétabli. En quelque sorte la position inverse soutient la thèse du bon sens : cela dépend des décisions prises, sur leur interruption brutale est absurde notamment quant aux mesures d'épuration alors peut-être peut-on les prolonger au-delà. L'interprétation des constituants montre en tout cas que la nature de l'article 16 est de ne résoudre que les problèmes immédiats et exceptionnels. Dès que ceux-ci sont écartés, l'article 38 est alors supposé "prendre le relai" en quelque sorte en donnant des pouvoirs étendus au Gouvernement. [...]
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