Qualification gage espèce- sûreté sur créance et monnaie-somme d'agent à titre de garantie
La qualification juridique des sûretés portant sur des sommes d'argent pose d'importantes difficultés, la jurisprudence en la matière s'étant vouée à des interprétations « quelque peu divinatoires » pendant de nombreuses années.
En l'espèce, des époux, disposant de plusieurs comptes auprès d'une même banque, ont décidé de nantir, (au profit de cette dernière), le solde créditeur d'un des comptes, à concurrence d'un certain montant, et d'autoriser la banque à compenser ce montant avec celui des soldes débiteurs. L'opération était prévue pour une date fixée, sous réserve que le cours du dollar atteigne un certain seuil, auquel cas la banque pourrait compenser d'office. Par la suite, les sommes ont été versées sur un compte spécial, la banque a procédé à la compensation, avant la date fixée, ce qui ne permit pas de résorber les différents découverts. La banque assigna les époux en paiement des sommes dues. Ces derniers contestèrent alors les conditions de la compensation. La cour d'appel admit la compensation et les époux formèrent un pourvoi en cassation, estimant que la remise des sommes sur un compte spécial s'analysait comme un nantissement, et que cela impliquait le respect des articles 2075 du code civil, exigeant une signification, et 2078, interdisant le pacte commissoire.
Malgré le fait que des sommes d'argent remises à titre de garantie demeurent individualisables, l'interprétation de la convention des parties est-elle susceptible d'entraîner la qualification de ces sommes en gage-espèce ?
[...] C'est pourtant la qualification retenue à l'unanimité par la cour d'appel et la Cour de cassation. La prédominance de la volonté des parties dans la détermination de la qualification des sommes d'argent affectées à un compte spécial. Dans l'arrêt du 6 février 2007, en dépit du caractère individualisable des sommes d'argent, la Cour de cassation a jugé qu'elles constituaient un gage-espèce. Pour cela, elle dépasse l'analyse en terme de principe de réalité. Elle a accordé une place prépondérante à la volonté des parties. [...]
[...] En revanche, dès lors que la somme d'argent demeurait individualisable, il s'agissait d'un véritable gage (Com avril 2003). C'est pourquoi, dans l'affaire du 6 février 2007, les époux, dans leur pourvoi, soulignent le fait que la somme d'argent a été affectée à un compte spécial, permettant l'identification et l'individualisation de la somme litigieuse. L'analyse se base sur le fait que la chose référentielle est ici le compte bancaire lui-même, qui ne constitue pas une chose fongible. Le compte fait écran, on ne voit plus la chose fongible qui se cache dernière. [...]
[...] Ainsi, au critère objectif de l'individualisation des sommes d'argent s'ajoute un critère plus subjectif qui relève de l'intention des parties d'avoir souhaité un tel effet. Une solution confirmant le régime particulier du gage-espèce. La libre disposition des sommes par le créancier. Dès lors que la qualification de gage-espèce est retenue, la solution tire les conséquences classiques en la matière : le créancier peut disposer librement des sommes remises. Cela implique, qu'il puisse, comme dans le cas en l'espèce, procéder à une compensation, avant l'échéance convenue, entre sa créance garantie et sa dette de restitution des fonds grevés. Cette solution est opportune. [...]
[...] Dans son arrêt du 6 février 2007, la Cour de cassation consacre l'autonomie du gage espèce en affirmant sa capacité à se constituer sans le support d'aucun texte et sans qu'elle soit pour autant requalifiée en nantissement. Son autonomie est également révélée par l'inapplicabilité des articles 2075 et 2078 du code civil. Dans son commentaire de l'arrêt, M. Crocq avait fait le parallèle entre cet arrêt et celui rendu par la Chambre commerciale le 19 décembre 2006, qui avait posé une solution inverse en matière de sûretés portant sur une créance. [...]
[...] En outre, le créancier ne deviendrait « définitivement » propriétaire qu'en procédant à l'un des modes de réalisation du gage. Mais selon certains auteurs, dont le professeur Aynès, le but réel du législateur aurait été d'éviter que la remise d'une somme d'argent au créancier, sans obligation pour celui-ci de l'individualiser et de la conserver, ne puisse constituer un gage. Il y aurait donc, encore aujourd'hui, « place pour les deux types de garanties : soit un gage, soit une cession-fiduciaire » (Aynès et Crocq, Les sûretés, 4e éd.). [...]
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