Sanction applicable, actes, époux, bien commun, hors limites, pouvoirs, manière frauduleuse
Selon la coutume de Paris, le mari était « seigneur et maître de la communauté ». Au contraire, depuis l'importante réforme du droit des régimes matrimoniaux intervenue en 1965, le régime légal suppose une masse de biens – la masse commune – gérées par deux administrateurs –les deux époux – selon trois modes de gestion (I. Dauriac). Si la gestion concurrente a la faveur du législateur, il n'en demeure pas moins, dans le Code civil, certains actes pour lesquels une cogestion s'impose. Lorsque celle-ci n'est pas respectée, la sanction de l'acte litigieux n'est pas si évidente qu'on pourrait le penser, comme l'illustre l'arrêt soumis à notre étude.
En l'espèce, Monsieur Jacques Y et Madame Z sont mariés sous un régime communautaire. Le 30 octobre 1990, l'époux décède, laissant son épouse et ses deux filles (les consorts Y) pour lui succéder. Presque un an plus tard (le 21 octobre 1991 plus précisément), en procédant à l'ouverture d'un coffre loué par le défunt, ces dernières découvrent l'existence de titres au porteur et d'un contrat de vente d'une maison, conclu le 26 mars 1990 au profit d'une tierce personne, Madame X.
Plus précisément, il s'avère que Jacques Y a, de son vivant, utilisé des fonds communs pour faire don à Madame X de sommes d'argent afin que celle-ci acquière le bien immobilier objet du contrat de vente précité.
Le 29 janvier 1993, les consorts Y assignent Madame X pour se voir restituer les titres au porteur et obtenir le remboursement du prix de vente de l'immeuble, et ce, en vertu de l'article 1421 du Code civil, lu a contrario.
Une première décision est rendue et un appel est interjeté. En date du 9 février 1999, la Cour d'Appel de Poitiers considère que les différentes donations faites par le défunt à la demanderesse constituent un détournement frauduleux des pouvoirs de disposition de l'époux, tombant sous le coup de l'article 1421 du Code civil. Par suite, les juges du second degré déclarent inopposables aux demanderesses les différentes donations faites par le défunt à Madame X. Ils ordonnent en outre la restitution des titres au porteur, la défenderesse ne rapportant pas la preuve de son droit de propriété sur ces titres.
[...] De manière plus implicite, quelques éléments de réponse sont fournis quant au régime juridique de la fraude, qui demeure toutefois incertain dans son ensemble (B'). A' – Le rejet exprès du cumul des actions La Cour ne se contente pas de se prononcer en faveur de l'application de l'article 1427 du Code civil en cas de dépassement de ses pouvoirs par un époux, que celui-ci soit frauduleux ou non. Elle souligne également le caractère subsidiaire de l'action fondée sur la fraude. En effet, pour elle, les « textes frappant les actes frauduleux . [...]
[...] Au contraire - par un attendu qu'il ne nous semble pas nécessaire de commenter - elle confirme la condamnation à la restitution des titres au porteur, la demanderesse au pourvoi n'ayant pas pu prouver son droit de propriété sur ceux-ci. Face à des faits d'espèce différents, la Cour de Cassation s'oriente dans une direction qu'elle avait déjà choisie deux ans auparavant, dans un arrêt de la première chambre civile du 30 mars 1999, dont l'attendu est repris verbatim. Ainsi, la Cour de Cassation entend marteler sa position, selon laquelle la nullité est la seule sanction envisageable en cas de dépassement de ses pouvoirs par un époux, en vertu de l'article 1427 du Code civil La fraude, quant à elle, ne peut ainsi être invoquée qu'à titre subsidiaire (II). [...]
[...] Or, l'article 1421 du Code civil, invoqué par les demanderesses et repris par la Cour d'Appel concerne « les biens communs » que « chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul ». Il vise donc une hypothèse de gestion concurrente et non une hypothèse de co-gestion. Il n'avait donc pas lieu d'être appliqué en l'espèce, au contraire de l'article 1427 du Code civil, visant des « dépassements de pouvoir » tels qu'il en existe dans le cas d'espèce. Cette explication semble d'ailleurs acréditée par le visa de l'arrêt soumis à notre étude, qui combine l'article 1422 à l'article 1427 du Code civil. [...]
[...] En outre, on ne peut que saluer le fait que la Cour de Cassation retienne le critère du dépassement de pouvoir sans s'intéresser à la question de la fraude lorsque celui-ci est caractérisé. En effet, la fraude n'est pas définie précisément par le Code civil, et plusieurs interprétations co-existent. Ainsi, selon une acception traditionnelle, la fraude en droit des régimes matrimoniaux suppose « la volonté de préjudicier aux droits du conjoint dans la communauté » (A. Colomer). Cependant, d'autres auteurs prônent une interprétation plus souple. [...]
[...] Toutefois, si la sanction retenue en l'espèce est remarquable par sa force, elle suppose que le demandeur agisse particulièrement vite. En effet, en se prononçant en faveur de l'application de l'article 1427 du Code civil en cas de dépassement de ses pouvoirs par un époux, que l'acte en résultant soit frauduleux ou non, la Cour de Cassation impose ipso facto un délai d'action très bref pour les demandeurs. Comme elle le rappelle avec insistance dans ses attendus, l'action en nullité fondée sur l'article 1427 est enfermée dans un délai de prescription de « deux ans ». [...]
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