Pacte, préférence, commentaire comparé, cour de cassation, 7 mars 1989, mixte, 26 mai 2006
Dans la première espèce, les actionnaires majoritaires d'une SA, cotée alors au second marché, avaient conclu un pacte instituant entre eux une procédure de préemption de leurs titres. Quelques années plus tard, deux d'entre eux souscrivaient cependant au profit de la société Saigmag une promesse de vente portant sur plus de 10 % du capital social. Or, ces titres furent effectivement cédés, en exécution de cette promesse, en même temps que d'autres actions acquises par la société Saigmag dans le cadre d'une procédure d'offre publique d'achat.
Les autres signataires du pacte réclamèrent alors en justice l'exécution forcée de l'engagement initial et donc le transfert à leur profit des titres cédés à la société Saigmag. Et ils obtinrent satisfaction tant des juges consulaires que de la cour d'appel de Paris (23 juin 1987), qui enjoignirent aux deux actionnaires concernés de leur remettre les ordres de mouvement dûment signés et précisèrent qu'à défaut, leur décision vaudrait elle-même ordre de mouvement au profit des demandeurs.
Dans la deuxième espèce, une donation-partage, qui attribuait un bien immobilier à un donataire, reprenait un pacte de préférence ancien concernant ce bien. Cet acte de donation avait été publié à la Conservation des hypothèques par le notaire qui l'avait dressé. Quatre mois plus tard, l'attributaire du bien le cédait à un tiers, en violation de la promesse de préférence ; le même notaire dressait l'acte de vente, en y visant la donation-partage mais non le pacte de préférence qui y était inclus et qui avait été publié avec celle-ci. Une bénéficiaire de la promesse de préférence avait ultérieurement sollicité, à titre principal, l'annulation de la vente et sa substitution à l'acquéreur ainsi évincé. Subsidiairement, elle faisait valoir la responsabilité du vendeur, infidèle à la promesse, mais aussi la responsabilité du notaire et celle de l'acquéreur.
Le bénéficiaire du pacte dont le droit personnel a été méconnu doit-il se contenter de dommages-intérêts ou bien peut-il prétendre à une réparation naturellement plus adéquate, consistant dans la conclusion forcée du contrat à son profit, par substitution au tiers choisi par le promettant ?
[...] A fortiori se trouverait-on dans une hypothèse de « contrat forcé » si la substitution était prononcée au profit du créancier de la préférence, bien que l'acte conclu par le promettant avec un tiers ait été d'une autre nature juridique que celui (ou ceux) entrant dans les prévisions de la promesse(28) Si, dans les deux hypothèses précédentes, une « substitution » était prononcée au profit du créancier de la préférence, il ne pourrait s'agir que d'une forme prétorienne de sanction de la fraude imputée au promettant infidèle : une telle substitution ne saurait être justifiée ni sur le terrain de la formation du contrat, ni au titre de réparation la plus adéquate du préjudice occasionné au bénéficiaire de la préférence. Faut-il reconnaître une pareille incidence à l'adage fraus omnia corrumpit ? [...]
[...] La véritable difficulté se situe dans les conditions d'une substitution et dans l'existence concrète d'une telle faculté. La seconde espèce pose seulement le principe d'une substitution et constate que l'indispensable préalable à toute substitution, à savoir l'annulation de l'acte antagoniste, qui dépend elle-même de la preuve d'une mauvaise foi particulière du tiers, n'était, en l'espèce, pas satisfait. Cette première difficulté serait-elle franchie, encore faudrait-il que le créancier de la préférence manifeste la volonté d'accepter l'offre et, surtout, de l'accepter dans les mêmes termes que son prédécesseur évincé. [...]
[...] Depuis la seconde espèce, il n'est plus nécessaire aujourd'hui de faire la critique de l'application inappropriée de l'article 1142. Cependant, la doctrine majoritaire paraît très sceptique par la possibilité d'une substitution, dans laquelle elle voit une « exécution forcée » du pacte de préférence, qu'elle justifie sur le terrain de la responsabilité en présentant la substitution comme une forme de réparation en nature que l'on pourrait fonder, selon certains auteurs, sur les prévisions de l'article 1143 du code civil. D'autres auteurs considèrent que ce que l'on appelle communément « substitution » n'est pas, stricto sensu, une exécution forcée de la promesse de préférence. [...]
[...] Dès lors, plusieurs auteurs ont avancé que l'annulation de l'acte antagoniste s'opposerait à une éventuelle substitution du créancier de la préférence au tiers ainsi évincé car, disent-ils, la nullité ferait disparaître le consentement du promettant et, en conséquence, interdirait toute substitution à défaut de volonté de contracter émanant de celui-ci. C'est d'ailleurs la justification qu'avançait autrefois la Chambre commerciale dans un arrêt du 27 mai 1986 lorsque, à l'occasion d'une cession de parts sociales en violation d'une antérieure promesse de préférence, elle faisait valoir qu'en cédant à autrui les parts litigieuses, les vendeurs avaient manifesté leur volonté de ne pas les céder à la bénéficiaire de la préférence de sorte que, la cession fût-elle anéantie, la volonté de céder préférentiellement les parts sociales aurait disparu et les dispositions de l'article 1583 du code civil feraient obstacle à la reconnaissance d'une vente au profit du créancier de la préférence. [...]
[...] Une faculté de substitution Une Chambre mixte rompant avec l'ambigüité de la Chambre commerciale quant à la possibilité d'une réparation en nature La deuxième espèce ne vise plus l'article 1142 du Code civil qui s'opposait à toute idée de substitution. En effet, dans la première espèce, sous le visa de cet article, la cour de cassation avait énoncé dans un chapeau intérieur que « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêt en cas d'inexécution de la part du débiteur ». [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture