jurisprudence, traditionnelle, matière, responsabilité, choses, cassation, 24, février, 2005
L'article 1384 alinéa 1er du code civil dispose qu' « on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore par celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ». L'article 1384 soulève bien des critiques du fait de son imprécision, de sa brièveté et de son caractère abstrait. Dès lors, il incombait à la jurisprudence de préciser le régime de la responsabilité du fait des choses, c'est pourquoi, l'alinéa 1er de l'article 1384 a fait l'objet de nombreuses évolutions jurisprudentielles. Les plus fameuses sont deux arrêts rendus par la Cour de cassation qui sont venus définir le régime de la responsabilité du fait des choses : l'arrêt Teffaine rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 16 juin 1896 et l'arrêt Jand'heur rendu par les chambres réunies le 13 février 1930. En vertu des décisions rendus par la jurisprudence comme de l'alinéa 1er de l'article 1384, un sujet de droit peut-être reconnu responsable du fait d'une chose. Si le régime du fait des choses a effectivement pris forme depuis ces fameux arrêts, il n'en reste pas moins que certains points restaient à éclaircir. Cette tâche est revenue à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 24 février 2005 dit « Baie vitrée ».
Il s'agit en l'espèce du cas de Mlle X qui par inadvertance heurte une baie vitrée coulissante, qui séparait l'intérieur de l'appartement appartenant à Mme Y de la terrasse de l'immeuble. Conséquemment au choc, la vitre se brise et le bris de la vitre blesse Mlle X. Dès lors Mlle X assigne Mme Y et son assureur, la compagnie Gan, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 du Code civil.
Le tribunal de première instance rejette la requête en réparation du préjudice de Mlle X. Mlle X interjette alors appel. La Cour d'appel de Toulouse saisi du litige rend par un arrêt du 25 juin 2002 un jugement défavorable déboutant Mlle X de ses prétentions. La Cour d'appel motive sa décision en invoquant le fait que le dommage trouvait exclusivement sa cause dans le mouvement inconsidéré de la victime qui s'était levée et avait pivoté à 90, puis s'était dirigée vers la terrasse sans s'apercevoir que la porte vitrée était pratiquement fermée avant de la percuter. Par ailleurs, les juges du fond ont relevé que la baie vitrée donc la chose n'avait pas eu un rôle actif dans la production du dommage étant donné le fait que la baie vitrée n'était pas en mauvais état. Suite au fait qu'elle a été déboutée de ses prétentions par les juges du fond, Mlle X décide alors de se pourvoir en cassation.
Le pourvoi de Mlle X est fondée sur l'argumentation suivante : elle indique qu'elle a pu croire que la baie vitrée était ouverte compte tenu de sa transparence et également parce que la baie donnait sur une terrasse. Elle reproche par ailleurs à la Cour d'appel de n'avoir pas retenu « le mauvais état » dans laquelle se trouve la baie vitrée.
Au travers de cette affaire, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation saisie de l'affaire a eu à s'interroger sur la question de la chose inerte. Le problème posé à la Cour était de savoir si la chose inerte qui a eu un contact avec le siège du dommage avait un rôle causal dans la production de ce dommage.
[...] En cela, il marque une rupture avec une jurisprudence précédente rendu par la deuxième chambre civile du 15 janvier 2000 dit arrêt boites aux lettres (il y en a eu en réalité plusieurs) dans lequel il a été admis que la boite aux lettres ne revêtait pas de caractère anormal mais son rôle actif existe bel et bien en l'état, ainsi la Cour a reconnu que la boite aux lettres était l'instrument du dommage. Alors que dans cet arrêt de 2000, la jurisprudence tendait à privilégier le rôle actif de la chose inerte faute d'avoir pu retenir l'anormalité de la chose, ici elle renverse la tendance en favorisant la preuve du caractère anormal de la chose pour engager la responsabilité du gardien. Cette solution rassurera sûrement certains auteurs critiques qui reprochaient à la Cour de cassation une jurisprudence ambiguë voire même contradictoire en matière de responsabilité du fait des choses. [...]
[...] Il consacre une évolution du régime de la responsabilité du fait des choses. Il permet d'affiner ce régime et de clarifier ainsi les conditions permettant que soit engagé la responsabilité du gardien. Désormais, la jurisprudence n'aura plus à se limiter au seul rôle actif de la chose dans la réalisation du dommage pour retenir une responsabilité. D'ailleurs la doctrine a souvent reproché à la Cour de cassation que fonder la responsabilité du fait des choses sur ce seul critère était à la fois excessif et incohérent Ainsi l'illustration des arrêts dit boites à lettres dans lesquels la Cour avait considéré que les boites aux lettres étaient responsables du dommage. [...]
[...] Le régime de la responsabilité du fait des choses permet donc de s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la force majeure ou en contestant les conditions de la responsabilité, tel que le fait de prouver qu'il y a eu un transfert de la chose. Par ailleurs, la jurisprudence a retenu dans certains cas un partage de responsabilité entre le gardien de la chose et la victime. Dans cette hypothèse, le gardien verra sa responsabilité limitée. Le tribunal de grande instance et la cour d'appel saisi du litige relèvent la faute de la victime Mlle X. La Cour d'appel affirme d'ailleurs que la production du dommage trouve sa cause exclusive dans le mouvement inconsidéré de Mlle X. [...]
[...] L'arrêt implique en outre que l'usage et le contrôle de la baie vitrée revenait au propriétaire de l'appartement, Madame Y. Le régime de la responsabilité des choses fait peser une présomption sur le propriétaire de la chose. Le propriétaire est présumée gardien et par conséquent responsable de cette chose. Cette présomption est une présomption simple, elle ne peut être levé que s'il est prouvé un transfert de garde par le propriétaire. Dans les circonstances de l'espèce, ce transfert n'est pas envisageable. Dans cet arrêt, on retient le pouvoir du gardien, en l'occurrence Madame Y sur la chose. [...]
[...] C'est un véritable apport qui donne un nouveau souffle au régime de la responsabilité du fait des choses qui faisait alors pesait une responsabilité écrasante sur le gardien qui ne pouvait s'en exonérer que par la force majeure. C'était donc une conception particulièrement restrictive de la responsabilité. Toutefois si c'est à la victime de démontrer l'anormalité de la chose, la Cour n'indique pas comment la victime peut démontrer cette anormalité. Notons que le terme d'anormalité est un terme général qui peut s'entendre largement. [...]
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