Incompétence, juridictions, françaises, cassation, 10, mai, 2006
En matière de compétence internationale des juridictions françaises, la référence de droit commun pour la loi française repose dans les articles 14 et 15 du Code Civil. Ces articles prévoient la compétence des juridictions françaises pour les obligations contractées tant à l'étranger par un français qu'en France par un étranger. La compétence des juridictions françaises en matière d'obligations contractuelles semble donc limitée.
Cependant, l'adaptation du système des compétences internes pour la compétence internationale des juridictions françaises a permis d'étendre le domaine de cette compétence, comme l'illustre l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de Cassation du 10 mai 2006 « Epoux Moukarim c/ Demoiselle Isopehi ».
Par un contrat de travail signé par sa famille au Nigéria, une jeune nigériane se trouve employée de maison au service d'un britannique. Elle exerce sa fonction au domicile nigérian de celui-ci, et le suit lors d'un déplacement à Nice, où elle abandonne son emploi et fait convoquer son employeur devant le conseil des prud'hommes pour obtenir le paiement d'un rappel de salaire et de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé. La Cour d'appel rejette l'exception d'incompétence des juridictions françaises soulevée par l'employeur et condamne celui-ci au paiement des sommes demandées. L'employeur se pourvoit en cassation, où il soulève la même exception, au motif que la loi nigériane était la loi applicable et que si celle-ci avait été appliquée pour la détermination de la compétence, les juridictions nigérianes auraient été compétentes.
Le demandeur souligne ainsi l'incompétence des juridictions françaises au vu de l'article R 517 du Code de travail, lequel dispose que le « conseil de prud'hommes territorialement compétent pour connaître d'un litige est celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est effectué le travail, ou lorsque le travail est effectué à domicile, comme en l‘espèce, « devant le conseil de prud'hommes du domicile du salarié ». Or ici, le lieu de l'exécution de la prestation de travail prévue au contrat est sans conteste le lieu habituel d'exécution, c'est-à-dire le Nigéria. Il semblerait donc que les juridictions françaises ne soient pas compétentes, mais que la compétence pour ce litige revienne aux juridictions nigérianes.
[...] Cette définition large, si elle présente des avantages, peut aussi être source de désagréments. Une consécration nécessairement délimitée de l'exception reposant sur l'ordre public international La notion d'ordre public international invoquée est une notion qui peut être source de risques ce qui rend nécessaire sa stricte délimitation Des risques à la reconnaissance de l'ordre public international par les juridictions françaises En matière de forum necessitatis, le juge exige en général un lien minimum entre l'affaire et la France pour pouvoir déclarer un tribunal français compétent, afin d'éviter d'admettre une compétence universelle. [...]
[...] Une définition large de l'ordre public international par les juridictions françaises Si la Cour de Cassation se réfère dans cet arrêt à l'ordre public international, elle n'en donne pas la définition. L'ordre public international peut être défini comme un faisceau d'exigences procédant des valeurs et orientations juridiques, sociales, économiques et morales que cultive l'ordre juridique du fort et qu'il entend protéger de l'application de lois étrangères contraires. Outre la défense des principes fondamentaux de la civilisation française et la sauvegarde de certaines politiques législatives, elle vise également la protection de principes universels, notamment en ce qui concerne les droits de l'homme. [...]
[...] De plus, il apparaît en l'espèce que le juge pose des conditions très précises pour reconnaître l'application de l'ordre public international. Il indique ainsi que l'ordre public international s'oppose à ce qu'un employeur puisse se prévaloir des règles de conflit de juridictions et de lois pour décliner la compétence des juridictions nationales et évincer l'application de la loi française dans un différend qui présente un rattachement avec la France et qui a été élevé par un salarié placé à son service sans manifestation personnelle de sa volonté et employé dans des conditions ayant méconnu sa liberté individuelle avant d'affirmer que tel était le cas en l'espèce. [...]
[...] La consécration du forum necessitatis pour les questions touchant à l'ordre public international La Cour de Cassation reconnaît la possible compétence des juridictions françaises malgré le faible rattachement en s'appuyant sur la contrariété des circonstances à l'ordre public international notion qui n'est pas strictement définie par la solution donnée Un élargissement de la reconnaissance du forum necessitatis par les juridictions françaises En l'espèce, le rattachement apparaissait comme faible entre la situation concernée et la juridiction saisie par la demanderesse. Cependant, il existe dans certains cas une possibilité pour que les juridictions françaises soient compétentes même lorsque leur compétence semble ne pas pouvoir être retenue selon les règles habituelles qui transposent le système de compétence territoriale interne aux situations marquées d'extranéité. En effet, ce système fait l'objet d'adaptations qui sont parfois nécessaires. C'est ainsi que la jurisprudence a construit des chefs spécifiques de compétence internationale, soit en se basant sur la matière du contentieux soit sur ses circonstances. [...]
[...] Outre ces conventions générales, des accords spécifiques interdisent de tels traitement, et notamment la Convention de Genève du 25 septembre 1926 relative à l'esclavage, prohibant l'esclavage et imposant aux États de veiller à ce que des situations de travail forcé ne mènent pas à des conditions analogues à l'esclavage, de même que la Convention de l'OIT 29 sur le travail forcé du 28 juin 1930 prohibant le travail forcé ou obligatoire, ou encore la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, ouverte à la signature le 16 mai 2005. La prohibition du travail forcé constitue donc un des droits fondamentaux les plus essentiels, consacré tant par les textes nationaux qu'internationaux. Ainsi, la Cour de Cassation aurait pu se fonder sur ces divers visas pour asseoir sa décision mais a choisi de simplement se référer à l'ordre public international. Certains commentateurs, et notamment P. Hammje et E. [...]
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