Commentaire d'arrêt, Première Chambre civile, Cour de cassation, 3 avril 2002, dépendance économique, vice de consentement
Georges Ripert dit : « tout homme se trouve plus ou moins dans la société en état de nécessité de contracter, car il ne peut vivre sans contracter ». C'est de cette obligation de former des conventions, liée à la situation économique ou personnelle d'un des contractants et pouvant parfois déterminer son consentement que traite l'arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation datant du 3 avril 2002.
En l'espèce, une rédactrice cède les droits d'exploitation d'un dictionnaire qu'elle avait élaboré - aux prix d'une activité supplémentaire, non stipulée dans son contrat de travail - à la société d'édition l'employant, dans le contexte d'un licenciement. Quelques années plus tard, la rédactrice est licenciée.
La cessionnaire assigne donc son ancien employeur en nullité du contrat pour violence et demande à ce que l'exploitation de l'ouvrage soit interrompue et que soient expertisés le montant des rémunérations qui lui seraient revenues si elle n'avait pas contracté.
La demande de la rédactrice est accueillie favorablement en seconde instance. Face à cet arrêt, un pourvoi en cassation est formé par l'ancien employeur reprochant notamment à la cour d'appel d'avoir violé l'article 1112 du Code civil.
[...] Pour les contrats importants, on est rarement totalement libre de déterminer les clauses principales. C'est donc seulement sous certains cas que la contrainte peut emporter la nullité du contrat. La contrainte peut être physique ou morale. Mais pour être cause de nullité, elle doit être illégitime. La menace physique l'est toujours alors que ça n'est pas forcément le cas pour la menace morale. En l'espèce, la contrainte infligée à la rédactrice est celle de céder à ses employeurs tous les droits d'exploitation du dictionnaire qu'elle a élaboré. [...]
[...] Comme dans tous les vices du consentement, l'appréciation de la crainte se fait in concreto, c'est à dire en considération d'éléments subjectifs sur la personne. On peut avoir peur pour soi, ses biens ou ses proches. Ici, la rédactrice craignait de perdre son emploi si jamais elle refusait ou discutait les termes du contrat de cession de ses droit d'exploitation sur son ouvrage proposés par la maison d'édition. La Cour admet donc ici qu'une personne dans un état de nécessité ou de dépendance économique peut réclamer la nullité d'un contrat si une violence morale et le caractère illégitime de cette violence ont été avérés. [...]
[...] Selon la Cour, l'arrêt d'appel aurait du constater en priorité le fait que la cessionnaire ait été elle aussi menacé par le plan de licenciement de l'entreprise et que cette crainte ait influencé son consentement. La Cour admet ici que l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique peut entraîner la nullité d'un contrat C'est à dire que le fait que la société éditrice ait récupérée par convention les droits d'exploitations d'un ouvrage élaboré par l'une de ses employés, alors qu'il était connu à l'époque de la conclusion du contrat que l'entreprise réduisait ses effectifs, est considéré par la Cour non comme une lésion mais comme une violence économique. [...]
[...] La seconde interprétation, a maxima, serait de penser que cet arrêt dépasse le vice du consentement. Et qu'à travers cette notion d'exploitation abusive d'état de dépendance économique, la Cour raisonne moins en terme de liberté du consentement qu'en terme de déséquilibre contractuel. En d'autres termes, ce que semble faire la cour ici, c'est protéger un contractant, qui, en raison de la situation dans laquelle il se trouve lors de la conclusion du contrat, ne peut pas négocier son contenu et est victime d'un déséquilibre contractuel significatif. [...]
[...] La question posée à la cour de cassation était alors de savoir si la dépendance économique suffit à vicier le consentement. Et quelles sont alors les conditions requises pour que le vice de violence soit caractérisé?/ La question qui était posée à la cour de cassation était celle de savoir si les constatations faites la cour d'appel pour prononcer la nullité pour violence économique étaient suffisantes. En termes plus généraux, la question posée était celle des conditions de la nullité d'une convention pour violence économique. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture