Commentaire d'arrêt, Première Chambre civile, Cour de cassation, 28 février 1995, communauté des biens, entrepreneur, entreprise artisanale, nullité de la cession des parts
« La communauté est devenue un aigle à deux têtes », a pu écrire le professeur Colomer dans son commentaire de la loi de 1985. En effet depuis cette loi, et comme le prévoit le nouvel article 1421 du Code civil « chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer ». On justifie ce partage des pouvoirs entre les deux époux en considérant que chacun est gérant de la communauté dans l'intérêt de celle-ci. Toutefois, cette autonomie n'est pas absolue et le législateur a prévu des domaines, où les époux doivent agir à l'unisson. Par cet arrêt du 28 février 1995, les juges rappellent ainsi qu'en matière de biens communs, si l'autonomie est la règle, l'interdépendance en est parfois l'exception.
En l'espèce, un entrepreneur, fondateur d'une entreprise artisanale, se marie sous le régime légal. Après cette union, il donne le fonds de son entreprise en location-gérance à une société. Il cède ensuite à sa mère 1250 parts sociales pour le prix global de 125 000 francs. Son épouse introduit alors une requête en divorce et assigne son mari et sa belle-mère en nullité de la cession des parts. À la suite d'une décision rendue en 1re instance, un appel est interjeté.
[...] Mais si les actes d'aliénation sont graves et justifient la cogestion, c'est parce que leur auteur se défait d'un certain bien qui, outre sa valeur actuelle, présente des utilités, pouvant notamment être source de revenus futurs. La cour rappelle ainsi qu'un bien ne saurait être réduit à sa valeur vénale. Cette prise de position se justifie d'autant plus au regard de l'évolution jurisprudentielle. En effet depuis 1995, la cour de cassation, a eu l'occasion de consacrer pleinement la distinction du titre et de la finance, aussi bien pour les parts sociales que dans d'autres hypothèses. Si bien qu'il y aujourd'hui, une véritable contradiction entre le contenu de l'article 1424 et la jurisprudence de la cour. [...]
[...] L'indifférence du caractère nécessaire de la cession Le principe en matière de biens communs nécessaires à l'activité professionnelle d'un époux est la gestion exclusive Toutefois, comme le rappelle la Cour de cassation tout principe a ses exceptions. La gestion conjointe en matière de droits sociaux non négociables est l'une d'elles La gestion exclusive des actes professionnels Dans cet arrêt, l'acte litigieux consistait en la cession par l'époux artisan de parts sociales. La Cour de cassation, par son arrêt de rejet, confirme l'arrêt d'appel en ce qu'il a retenu que les parts litigieuses constituaient des biens communs. [...]
[...] Ainsi le principe de la cogestion ne déroge à celui de la gestion exclusive que si les biens sont communs. Cependant, il est évident que si les biens étaient propres, la cour ne se fonderait pas sur l'article 1424 et ne conclurait pas à la nullité de la cession pour abus de pouvoir, car alors, le principe de gestion exclusive vaudrait. On doit donc envisager la possibilité que cet arrêt constitue une remise en cause d'une solution consacrée quelques années plus tôt dans le fameux arrêt des Parcs à huîtres à savoir celle de la distinction entre titre et finance. [...]
[...] Pour que le principe de gestion exclusive s'applique encore faut-il que l'acte pris par l'époux professionnel soit nécessaire à l'activité et que celle-ci soit exclusive à l'époux. En l'espèce, le mari faisait valoir la nécessité de cette cession, nécessité qu'aucune juridiction n'a d'ailleurs contredite. Par ailleurs cette profession était bien uniquement celle du mari, étant donné que c'est lui qui avait crée l'entreprise artisanale et qui y travaillait. La cession réalisée par l'époux sans concertation avec sa femme apparait valide, au regard du principe de gestion exclusive. [...]
[...] Le texte énonce en effet le tout sous réserve donc gestion concurrente et gestion exclusive confondues. Il est alors impossible de soutenir, comme a paru vouloir le faire le mari en l'espèce, que l'alinéa second de l'article 1421 a une valeur autonome et se suffit à lui-même, échappant ainsi à l'exception de cogestion. La Cour de cassation indique donc que la cour n'avait pas à rechercher si la condition de mise en œuvre de l'article 1421, à savoir le critère de la nécessité, était caractérisée en l'espèce. [...]
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