Commentaire d'arrêt, Chambres réunies, Cour de cassation, 2 décembre 1941, responsabilité du fait des choses
"Cette magistrale cathédrale jurisprudentielle bâtie sur une tête d'épingle
législative." C'est en ces termes que Jean Sébastien Borghetti résume à la perfection l'ambivalence à laquelle est assujettie la responsabilité du fait des choses. Originellement simple transition législative à la durée de vie limitée, la responsabilité du fait des choses s'est transformée en véritable fondement du droit de la responsabilité civile sous l'impulsion de la Cour de Cassation au passage de notre République dans l'ère du machinisme. Si à l'époque la justification pratique de la responsabilité des choses semblait une évidence tant il était nécessaire pour le droit d'appréhender ses "choses" nouvelles, jusque-là inconnues et d'ériger l'article 1384 alinéa 1 en règle autonome notamment à la suite des nombreux accidents causés par les débuts de l'automobile.
Force est de constater qu'aujourd'hui cet article apparait comme une mise à l'écart de la France vis à vis du reste du monde tant il semble obsolète. Il s'agit d'un arrêt des Chambres réunies de la Cour de cassation en date du 2 décembre 1941. Une voiture appartenant au Docteur Y confiée à son fils mineur Claude est frauduleusement subtilisée par un voleur resté inconnu dans une rue de
Nancy ou le dit Docteur l'avait laissée en stationnement. Durant la nuit, le voleur cause un accident à l'aide du véhicule volé et tue mortellement le facteur X. Les consorts X sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 demande alors réparation du préjudice résultant de la mort de celui-ci. Un jugement est rendu en Première Instance, mais ne nous est pas communiqué. La Cour d'appel rejette la demande des consorts X.
[...] La perte de la chose: une cause exonératoire de responsabilité. Notre arrêt dispose: " Attendu que pour rejeter la demande des consorts X . l'arrêt déclare qu'au moment ou l'accident s'est produit, Y dépossédé de sa voiture par l'effet du vol, se trouvait dans l'impossibilité d'exercer sur la dite voiture aucune surveillance." Pour les juges de la cour de cassation, la perte de la garde c'est-à-dire de l'usage de la direction et du contrôle constitue une clause exonératoire qui permet au Docteur Franck de ne pas être soumis à la responsabilité de l'article 1384 alinéa 1. [...]
[...] L'intérêt de la jurisprudence Franck est qu'elle vient affirmer qu'être propriétaire d'une chose qui a causé un dommage n'est pas un caractère absolue. En effet il est loisible de constater que les anciennes jurisprudences étaient particulièrement défavorables aux gardiens liées à l'assimilation faite entre le gardien et le propriétaire. L'essence même de la garde est défavorable à son gardien. La garde est intrinsèquement lié à la la notion de pouvoir. Comme nous l'avons vu plus haut, le gardien est celui qui a le pouvoir sur la chose ce qui conduit nécessairement à la responsabilité de celui-ci. [...]
[...] Dès lors comme le rappelle notre arrêt, à partir du moment ou le Docteur Franck a été dépossédé de son véhicule par le vol, il ne saurait être tenu par la contre-partie de la garde qui est la présomption de responsabilité de l'article 1384 alinéa. Pour finir il faut toutefois noter que la cour de cassation s'est montré impitoyable vis-à-vis des Consorts X en ne leur permettant aucune indemnisation par leur refus de reconnaitre la responsabilité du Docteur Franck sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1. Toutefois, cette nouvelle vision permet de rétablir un équilibre sur la responsabilité du fait des choses. Une vision plus objectiviste de la responsabilité du fait des choses: vers l'équité. [...]
[...] Plus étonnant le champ d'application de l'article 1384 alinéa 1 regroupe également des choses tel que le gaz, les liquides ou les fumées. Seuls sont exclues les dommages causés par les bâtiments en ruine ou les animaux qui possèdent leurs propres régimes spéciaux mais également les accidents de la circulation visée par la loi Badinter de 1985 et les choses dangereuses visées par la directive européenne de 1985 transposé en droit français en 1998. D'autre part, La chose doit avoir un rôle dans la survenance du dommage, on dit qu'elle doit avoir été l'instrument de celui-ci. [...]
[...] Une interprétation élargie de l'article 1384 alinéa 1 vers la responsabilité du fait des choses. De la simple transition législative à la relecture jurisprudentielle totale de l'article 1384 alinéa 1 qui permettait d'indemniser les victimes de dommages liés aux nouvelles choses Cependant les avancées jurisprudentielles depuis le 19ème siècle et notamment l'arrêt Franck ont permis d'établir que la garde la chose était la condition essentielle à la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1. [...]
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