Commentaire d'arrêt, Chambre mixte, Cour de cassation, 2 décembre 2005, nature d'une sûreté réelle
La question de la nature d'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers a fait l'objet de très nombreux écrits de la doctrine, tant la réponse à cette question, qui peut, d'un point de vue strictement juridique, paraître facile, se complique intensément dès lors qu'on la met en balance avec la nécessité d'application d'un régime protecteur de la caution. Face aux conflits doctrinaux, il revenait finalement à la jurisprudence de faire son choix définitif, ce que la Chambre mixte fit par un arrêt du 2 décembre 2005, après plus de 10 ans de variations.
Un homme marié sous le régime de la communauté universelle avait nanti, sans le consentement de son épouse, des titres dématérialisés entrés dans la communauté, en garantie du cautionnement par lui de la dette d'une société tierce auprès de la Banque Nationale de Paris, aux droits de laquelle se trouvait la S.A. BNP Paribas.
Son épouse avait assigné la banque en mainlevée du nantissement, se prévalant de l'application de l'article 1415 du Code civil. La Cour d'appel lui avait dénié l'application des dispositions de cet article : elle estimait que le nantissement donné par l'époux en garantie du prêt accordé à la société par la banque ne pouvait être assimilé à un cautionnement réel entrant dans le champ d'application de l'article 1415 du Code civil.
[...] Un régime en mutation constante La réforme des sûretés par l'ordonnance 2006-346 du 23 mars 2006 a apaisé le débat entourant le mot final de la jurisprudence quant à la nature de la sûreté réelle pour autrui. Cet apaisement est ciblé précisément sur les points que la doctrine estimait discutables, à savoir la nature profonde de cette sûreté et la question de la protection du patrimoine des époux communs en biens. Quant à la nature de la sûreté réelle pour autrui, le nouvel article 2334 du Code civil, relatif au gage, dispose : Le gage peut être consenti par le débiteur ou par un tiers ; dans ce dernier cas, le créancier n'a d'action que sur le bien affecté en garantie Cet article est étendu au cautionnement, si bien qu'il est valable en la matière. [...]
[...] La chambre mixte de la Cour de cassation, dans un arrêt surprenant, mais bienvenu du 2 décembre 2005, rejette le pourvoi formé par la demanderesse, mais ne se contente pas de retenir la solution retenue par la Cour d'appel de Limoges. Elle va encore plus loin, puisqu'elle relève qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui et n'est pas, dès lors, un cautionnement, lequel ne se présume pas Dès lors, la qualification même de cautionnement réel est enterrée par la jurisprudence, qui, suite à près de 10 ans d'errance en la matière, rejette toute composante personnelle de la sûreté réelle pour autrui Cette nouvelle solution n'est pas sans conséquences du point de vue du régime, conséquences qui seront plus ou moins tempérées par les évolutions législatives postérieures (II). [...]
[...] A contrario, d'autres solutions auparavant usitées en la matière, durent être abandonnées du fait de la nouvelle interprétation jurisprudentielle de la sûreté réelle pour autrui. Tout d'abord, et ce point mérite d'être abordé en premier en ce qu'il fut considéré par la doctrine comme une conséquence centrale du choix de la qualification de la sûreté réelle pour autrui, l'application de l'article 1415 du Code civil se trouve écartée par cette solution. Cet article dispose qu'à défaut d'avoir obtenu le consentement exprès de son conjoint, un époux ne peut engager que ses biens propres et revenus par un cautionnement ou un emprunt C'est l'attachement de cette disposition à un cautionnement qui exclut son application, en ce que la sûreté réelle pour autrui, qui ne comporte pas de composante personnelle, n'est plus un cautionnement. [...]
[...] Quant au créancier, il se trouverait vraisemblablement toujours délesté, jusqu'à une éventuelle contradiction jurisprudentielle, de son obligation de déclarer sa créance en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du constituant. Quant à la caution, elle ne devrait plus jouir du bénéfice de subrogation jusqu'à une éventuelle décision contraire. Ces questions restent donc en suspens jusqu'à ce que la jurisprudence se prononce sur leur destinée à la lumière de la décision du 2 décembre 2005 et d'une interprétation téléologique des nouvelles dispositions de la loi en la matière. [...]
[...] Selon la doctrine, ce refus implique l'impossibilité, pour le débiteur de la sûreté réelle pour autrui, de se prévaloir des dispositions de l'article L. 341-2 du Code de la consommation, qui conditionne lui la validité de l'engagement de la caution personne physique envers un créancier professionnel. Dans le même esprit et pour les mêmes raisons, la Cour de cassation, par son raisonnement de 2005, appuie le rejet de la possibilité, pour le constituant de la sûreté, de se prévaloir du bénéfice de l'obligation annuelle d'information de la caution des articles L. [...]
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