Errare humanum est ; diabolicum perseverare1. Cet adage latin d'une sagesse élémentaire pourrait
servir de morale à cette saga de l'affaire Poussin qui a défrayé la chronique à la fin des années
1970. Les époux Saint-Arroman, propriétaires d'un tableau, qu'une tradition familiale attribuait au
grand peintre Nicolas Poussin, voulaient le vendre. Ils chargèrent Me Rheims de sa vente.
Toutefois, il ressortit de l'expertise faite par M. Lebel que le tableau était une oeuvre de l'École
des Carrache, d'une moindre renommée. Suite à l'adjudication, la Réunion des musées nationaux
exerça son droit de préemption. En revanche, elle exposa le tableau comme étant une oeuvre
originale de Nicolas Poussin. Les époux Saint-Arroman, se sentant lésés, intentèrent une action
en nullité de la vente sur le fondement de l'erreur sur la substance de la chose (Art. 1110 C. civ.)
En appel, ils se firent débouter de leur demande, ils formèrent donc un pourvoi en cassation.
Ils arguaient du fait que leur conviction était erronée par rapport à la réalité. Ils pensaient,
effectivement, que le tableau litigieux ne pouvait pas être un Poussin, alors qu'il est probable
qu'il en fût un. À l'inverse, la Réunion des musées nationaux prétendaient qu'aucune erreur ne
pouvait être constituée, puisque la réalité demeurait incertaine. Les juges du Droit devaient alors
répondre à la question suivante : Le vendeur peut-il invoquer une erreur sur sa propre prestation alors qu'il a découvert grâce à des éléments révélés postérieurement à la vente
que sa conviction erronée portait sur une croyance douteuse? Dans un attendu laconique les
juges de cassation enrichirent considérablement la notion de l'erreur en censurant l'arrêt d'appel au
visa de l'article 1110 au motif que la Cour d'appel avait privé sa décision de base légale « sans rechercher si, au
moment de la vente, le consentement des vendeurs n'avait pas été vicié par leur conviction erronée que le tableau ne
pouvait pas être une oeuvre de Nicolas Poussin. » Il est bon de rappeler que l'erreur est la fausse
représentation que l'on se fait de la réalité1, une discordance2 entre une conviction et la réalité. Cet
arrêt vient justement éclairer cette définition, puisque que la réalité de la discordance (I) est bel et
bien mie en exergue. Toutefois, si elle est bien réelle, cette discordance n'en est pas moins relative
(II).
[...] TERRÉ, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, op. cit., n°218, p La solution n'est pas nouvelle ; déjà en 1930, la Cour de cassation l'avait prononcée1. Elle n'est en réalité non moins fondée que la précédente. Il suffit, pour s'en convaincre, d'apporter un contre-argument à chacun des arguments qui ont été avancés précédemment. D'abord l'argument textuel, s'il semble séduisant, ne peut résister à la critique. En effet, l'article 1110 n'a pas été écrit pour les seuls contrats synallagmatiques mais aussi pour les contrats unilatéraux, si bien qu'ici, le raisonnement ne pourrait être transposé. [...]
[...] La jurisprudence ne cesse de préférer la seconde conception. Cet arrêt en est encore un exemple. L'on peut toutefois se demander si l'authenticité d'une œuvre est une de ses qualités substantielles ? Même si la Cour régulatrice répond à cette question par l'affirmative1, il faut préciser qu'elle a décidé qu'il s'agissait d'un pouvoir souverain des juges du fond. C'est par ailleurs au demandeur en nullité d'apporter la preuve que le tableau comportait pour lui cette qualité substantielle sans laquelle il n'aurait pas contracté. [...]
[...] Une seule lettre a permis à des auteurs avisés de prôner le refus de cette admission, la lettre l. L'objet du contrat auquel il est fait référence dans l'article est au singulier. L'on a pu alors déduire que, dans les contrats synallagmatiques qui présentent une dualité d'objets réciproques, seule l'erreur sur la substance de l'objet qui causait notre prestation pouvait justifier une personne à invoquer la nullité du contrat. Autrement dit, l'article susmentionné ne prend en compte que la prestation reçue, et non fournie. [...]
[...] Ici, donc, la Cour de cassation précise, que le vendeur peut invoquer l'erreur sur sa propre prestation, mais reste à démontrer en quoi consiste cette erreur, la discordance entre sa conviction erronée et la réalité ! B.- L'objet de la discordance Subjectivisation des qualités de la chose L'erreur sur la substance de la chose a été sujette à interrogation. Le terme étant équivoque et ne recevant aucune définition dans le Code civil, il a bien fallu lui apporter quelques précisions. L'on a d'abord expliqué que la substance de la chose était ses qualités substantielles. [...]
[...] C'est-à-dire, lorsque que l'on considère quelque chose de faux comme étant vrai. Or ici, la réalité n'est pas établie. Les époux Saint-Arroman tentent de montrer qu'ils ont pris un Poussin pour un Carrache. Néanmoins, rien ne prouve que ce tableau soit un Poussin. Malgré ce, la Cour de cassation fit litière de cet argument et décida tout de même de retenir l'erreur. Comme nous l'avons dit plus haut, elle eut une analyse plutôt psychologique que rigoureusement juridique. Pour elle, l'erreur était caractérisée. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture