Droit civil, jurisprudence, rétroactivité, sécurité juridique, droit à un procès équitable, présomption d'innocence
La rétroactivité de la jurisprudence crée potentiellement des conflits au sujet de l'application de la jurisprudence dans le temps. L'arrêt rendu le 21 décembre 2006 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation en est l'illustration.
Le 21 décembre 2006, l'assemblée plénière de la Cour de cassation rend un arrêt de rejet concernant la demande d'une société éditrice d'un journal d'annuler la décision prise par la cour d'appel au sujet d'un article jugé comme portant atteinte à la présomption d'innocence des personnes mentionnées dans ledit article.
Le 14 février 1996, un journal publie un article relatif à une affaire judiciaire, dont l'intitulé très explicite, accuse un couple de maltraiter son bébé. La femme estime que le journal a porté atteinte au respect de sa présomption d'innocence.
Par ces motifs, la mère de l'enfant assigne, devant un tribunal de grande instance, la société éditrice du journal et son directeur de publication. Le tribunal de grande instance condamnera les défendeurs à verser une certaine somme aux parents en réparation du préjudice causé.
Contestant cette décision, la société éditrice du journal et son directeur de publication interjettent appel. Par arrêt du 6 avril 2000, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, après avoir écarté le moyen de prescription de l'action invoqué par les appelants, a confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance.
La société et son directeur de publication vont alors se pourvoir en cassation.
Leur pourvoi comporte trois moyens. Le premier d'entre eux porte sur la prescription d'action. La société éditrice du journal et son directeur de publication accusent la cour d'appel de violation de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. En effet, cet article stipule que « les actions fondées sur la présomption d'innocence [...] se prescriront trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité. » La société éditrice du journal met en avant le fait selon lequel la mère de l'enfant, n'a fait aucun acte susceptible d'interrompre le cours de la prescription dans les trois mois impartis. Le second moyen porte sur l'atteinte à la présomption d'innocence contestée par les demandeurs en cassation. Ceux-ci reprochent à la cour d'appel la violation de l'article 9-1 du code civil ainsi que son défaut de base légale. Enfin, le troisième moyen est relatif au paiement des dommages-intérêts à la mère de l'enfant. D'une part, la société accuse la cour d'appel de violation de l'article 455 du nouveau code de procédure civile qui n'aurait pas précisé en quoi consistait la mauvaise foi dont il est question dans l'arrêt. Et d'autre part, il est reproché à la cour d'appel une fois de plus, le défaut de base légale au regard de l'article 9-1 du code civil : la cour d'appel, pour retenir la mauvaise foi des auteurs de la publication, se serait appuyée sur un motif inopérant, issu de circonstances postérieures à la parution de l'article.
L'analyse sera davantage orientée sur le premier moyen en cassation. Il s'agit ici, en effet, de choisir entre deux interprétations possibles de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse.
Lorsqu'un revirement de jurisprudence se produit, dans quelle mesure doit-il s'appliquer aux procédures engagées antérieurement ?
Dans cet arrêt, la Cour de cassation répond positivement à cette interrogation sans toutefois être en capacité d'appliquer les nouvelles modalités issues du revirement.
[...] Par arrêt du 6 avril 2000, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, après avoir écarté le moyen de prescription de l'action invoqué par les appelants, a confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance. La société et son directeur de publication vont alors se pourvoir en cassation. Leur pourvoi comporte trois moyens. Le premier d'entre eux porte sur la prescription d'action. La société éditrice du journal et son directeur de publication accusent la cour d'appel de violation de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. [...]
[...] Le 21 décembre 2006, la Cour de cassation ne peut donc pas aller dans le même sens que la jurisprudence en vigueur à cette date car il faut impérativement répondre aux exigences du procès équitable. Il y a ici un phénomène de revirement de jurisprudence sur un revirement. C'est le caractère rétroactif de ces revirements qui est mis en cause. Pour le doyen Jean Carbonnier, « les revirements engendrent l'insécurité, puisque la solution nouvelle, issue du revirement, sera de plein droit applicable à des affaires qui s'étaient nouées dans une confiance dans la solution ancienne » (J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion 1996, p. 59). [...]
[...] » L'appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance a été formé en 1998, date à laquelle la Cour de cassation n'exigeait pas que tous les trois mois soit réalisée une procédure indiquant la poursuite de l'instance. Pourtant, le caractère rétroactif de la jurisprudence impliquerait que le revirement opéré par la Cour de cassation en juillet 2004 aille à l'encontre de la mère du bébé, faute d'acte interruptif intervenu après la déclaration d'appel du 17 mars 1998. Or ce n'est manifestement pas le cas. [...]
[...] Revirement qui a eu lieu pendant la procédure engagée par la mère de l'enfant contre le journal. On en déduit alors que l'effet rétroactif de la jurisprudence aurait dû aller contre la mère et de ce fait, annuler la procédure engagée. Cependant, dans le respect de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le procès ne peut être supprimé. Cette convention a été signée en 1950 par les Etats membres du Conseil de l'Europe et son application dans le droit interne est prioritaire. [...]
[...] Car l'annulation du procès reviendrait d'une part à priver la victime de la possibilité de faire valoir ses droits et d'autre part à ignorer l'atteinte à la présomption d'innocence. Par cela on déduit que, l'annulation du procès amènerait également à la violation des textes relatifs au respect de la présomption d'innocence. Le respect de la présomption d'innocence et le droit de chacun à faire valoir ses droits, sont pour les citoyens, une garantie essentielle qui ne peut pas être écartée même en vertu du respect du caractère rétroactif d'une jurisprudence. [...]
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