« Le pourvoi en cassation est bien plus qu'une voie de recours, il est le mécanisme
essentiel de construction de la jurisprudence »1. Par cet arrêt rendu le 7 novembre 2000 la
Cour de cassation rompt avec une jurisprudence initiée au milieu du XIXe siècle en se
prononçant en faveur de la validité des cessions de clientèle civile.
En l'espèce, M. Y, chirurgien, avait mis son cabinet à la disposition d'un confrère, M.
X, en créant avec lui une société civile de moyens. Le 15 mai 1991, les deux médecins
avaient conclu une convention portant cession de clientèle, contre le versement de la part du
cessionnaire (M. X) d'une indemnité d'intégration de 500 000 francs. Les parties avaient, en
outre, conclu une " convention de garantie d'honoraires " par laquelle M. Y s'engageait à
assurer à M. X un chiffre d'affaires annuel minimum. La convention de cession de clientèle
prévoyait expressément que les parties étaient dans l'obligation de proposer aux patients une
« option restreinte au choix entre deux praticiens ou à l'acceptation d'un chirurgien différent
de celui auquel ledit patient avait été adressé par son médecin traitant » ; elle faisait
également obligation au cédant de présenter le cessionnaire à sa clientèle et de mettre à la
disposition de celui-ci du matériel médical, du matériel bureautique et du matériel de
communication.
Estimant que le cédant n'avait pas respecté ses engagements vis-à-vis de sa clientèle,
le cessionnaire qui avait déjà versé une partie du montant de l'indemnité d'intégration assigna
celui-ci en annulation de leur convention. Face à cette demande, le cédant réclamait le
paiement du solde de l'indemnité prévue par la convention.
Par un arrêt rendu le 2 avril 1998, la Cour d'appel de Colmar fit droit à la demande du
cessionnaire en prononçant la nullité de la convention de cession au motif qu'elle portait
atteinte au libre choix de son médecin par le malade. M. Y forma alors un pourvoi en
cassation. Devant la Cour, M. Y se défendait du caractère attentatoire de la convention
litigieuse au libre choix du patient, M. X, quant à lui, arguait de la nullité de ladite
convention. La nullité invoquée en l'espèce reposait sur l'idée qu'un contrat de cession de
clientèle médicale ne pouvait qu'être nul car il portait sur un objet (la clientèle civile) hors du
commerce juridique. La présente affaire donnait ainsi à la Haute juridiction l'occasion de se
prononcer sur la question suivante : la cession de clientèle médicale est-elle licite ?
Elle rejeta le pourvoi formé par le cédant au motif que « si la cession de clientèle
médicale, à l'occasion de la constitution ou de la cession d'un fonds libéral d'exercice de la
profession, n'est pas illicite, c'est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du
patient ».
N'ayant aux termes du litige qu'à se prononcer sur la licéité d'une convention de
cession de clientèle médicale, la Cour aurait pu se borner à relever que les juges du fond
avaient souverainement constaté que, en l'espèce, la liberté de choix des patients n'était pas
respectée.
Mais la Cour en profite pour mettre un terme à une jurisprudence séculaire. Elle
affirme par le présent arrêt que la cession de clientèle médicale intervenant à l'occasion de la
constitution ou de la cession d'un fonds libéral est licite à condition que soit respecté la
liberté de choix du patient. Elle pose ainsi le principe de la cessibilité des clientèles civiles
(I), et en détermine les conditions de validité (II).
[...] Le raisonnement est alors le suivant : la personne humaine est hors du commerce (majeure), le facteur attractif de la clientèle civile est la personne humaine (mineure), la clientèle civile est une chose hors du commerce car il est illicite de faire commerce d'un élément de sa personne (conclusion). Consciente cependant d'impératifs économiques propres aux professions libérales, la jurisprudence a très tôt pallié ce refus d'admettre la licéité de la cession de clientèle civile en admettant la possibilité d'une cession d'un droit de présentation (Cour d'appel de Paris du 29 décembre 1847). Cette figure contractuelle met à la charge du médecin vendeur une obligation de faire, celle de présenter son successeur à sa clientèle. On voit ici la différence existante avec la convention précédente. [...]
[...] Est-ce par là même une condamnation de toutes les conventions de partages de clientèles comme attentatoire à la liberté de choix ? Rien n'est moins sûr, dans la mesure où la jurisprudence admet déjà la validité de la cession d'un droit de présentation partielle (Cass. Civ. 1ère octobre 1997). Il ne pourra pas plus s'agir d'une interdiction totale de recevoir les anciens patients, car cela constituerait aussi une entrave à leur liberté de choix. Au stade de l'exécution des obligations, seule semble alors pouvoir être véritablement condamnée la concurrence active : il ne faut pas solliciter son ancienne clientèle (Cass. Civ. [...]
[...] Sera-t-il possible de dissocier la propriété du fonds de sa gestion ? Le recours à la location-gérance serait sans doute d'une grande utilité pour faciliter l'installation des jeunes praticiens. La question se pose également de savoir si la clientèle libérale, en tant que valeur économique, intégrera l'actif propre ou commun de la personne. Certains biens sont propres en raison de leur nature, se sont les biens meubles (corporels ou incorporels). La jurisprudence distingue en l'espèce le titre (propre à la personne) et la finance (valeur de la chose qui s'intègre au patrimoine commun). [...]
[...] II / Les conditions de cessibilité des clientèles civiles Le principe affirmé par la Cour de cassation est ici posé de manière négative et conditionnelle. La cession de clientèle médicale n'est pas illicite à condition d'une part que soit sauvegardée la liberté de choix du patient et d'autre part que cette cession ai lieu à l'occasion de la constitution ou de la cession d'un fond libéral La Cour pose ainsi une condition de validité de la cession et semble définir une condition d'existence de la clientèle médicale, qui n'est pas sans soulever de difficultés. [...]
[...] Mais comme elle n'explicite pas les différences entre les deux notions, la remarque demeure peu pertinente. Pour ses partisans18, la notion de fonds libéral doit être entendue comme un ensemble d'éléments corporels (c'est-à-dire l'équipement, les instruments chirurgicaux, le mobilier, le matériel, dont la vente est admise depuis longtemps par la jurisprudence) et incorporels (tels le droit au bail, la clientèle par le biais de la transmission des fichiers), ayant une valeur économique et réunis en vue de retenir ou d'attirer une clientèle. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture