Dans son Rapport sur l'instruction publique présenté à l'Assemblée nationale législative les 20 & 21 avril 1792 », le Marquis de Condorcet affirmait « qu'il ne peut y avoir d'égalité si tous ne peuvent acquérir des idées justes sur les objets dont la connaissance est nécessaire à la conduite de leur vie » ; présageant ainsi du rôle fondamental que devait tenir l'instruction du peuple dans la formation du citoyen ainsi que dans l'apprentissage et l'exercice de leurs droits et devoirs envers l'État.
Lorsque le 10 avril 1870, Jules Ferry député de l'Assemblée législative, prononce à la salle Molière du Palais Bourbon, son célèbre discours dit « De l'égalité de l'éducation », il s'inspire en partie du rapport qu'avait présenté le Marquis de Condorcet plus d'un siècle auparavant, et énonce quels doivent être les fondements de la future École républicaine.
Ferry avocat de formation, lors de cette conférence, développe un plaidoyer extrêmement critique envers le système d'instruction mis en place dans le cadre de la loi Falloux du 15 mars 1850, par lequel le contrôle de l'éducation était monopolisé par l'Église catholique. Le discours partisan de la création de l'École républicaine intervient en outre dans un contexte délicat.
Pour Jules Ferry, ce discours, qu'il érige en serment, vise à redéfinir la nature et le rôle de l'institution éducative dans la société française. Doit-on laisser l'éducation sous la tutelle de l'Église ? Doit-on exclure l'institution religieuse de ce domaine au profit de l'État dès lors qu'elle est une force politique concurrente des autorités publiques contemporaines ?
Ce plaidoyer pour l'École républicaine est révélateur de l'idéologie naissante de ce qui sera l'un des leitmotive de la IIIe République, à savoir la lutte contre le cléricalisme, donc de l'existence de l'Église catholique en tant que force politique influente sur l'échiquier politique français.
L'enjeu est de savoir comment l'État doit se réapproprier le monopole de l'éducation afin d'établir le socle d'une école républicaine et laïque, à l'instar de ce que préconisait un siècle plus tôt Condorcet.
[...] La conception de l'enseignement que dispense l'Église doit être replacée dans son contexte. L'Église avait perdu son influence sociale et politique depuis la première Révolution en 1789, car elle était perçue comme associée à l'effort d'emprise despotique de la Couronne sur les individus. Les réformateurs, portés par l'idéologie des philosophes des Lumières, avaient en conséquence tout fait pour gommer le lien État- Église dans une volonté de rupture avec le modèle social capétien de la fin de l'Ancien Régime, c'est-à-dire la fin de la monarchie-théocratique. [...]
[...] De fait, la rupture du discours républicain de Jules Ferry ne réside pas dans la mise en œuvre de ce principe, mais dans son adaptation à un futur État républicain et laïc. C'est pour ce faire qu'il revient en détail sur le projet que le Marquis de Condorcet a développé dans ses Cinq mémoires sur l'instruction publique9, et notamment dans le Premier Mémoire : Nature et objet de l'instruction, publiés en 1791 et dans son Rapport sur la Nécessité de l'instruction10 publique de 1792. [...]
[...] Orienter la mission de l'institution éducative sur une telle méthode se retrouvera au XXe siècle dans les régimes totalitaires hitlérien et stalinien. Une telle comparaison n'est pas disproportionnée puisque Hannah Arendt caractérise la nature de la relation individus-État dans cette catégorie de régime comme le fait de la part de l'État de chercher à détruire toute trace de cercle de socialisation, d'appartenance et d'identification des individus (famille, amis, école, armée, entreprise . etc.) afin que ces derniers ne se définissent que par rapport à l'idéologie de l'État en place. [...]
[...] L'enseignement dispensé par l'Église s'avère être en inadéquation tant avec la société contemporaine qu'avec les idéaux républicains de plus en plus influents au moment même où la France assiste au dernier acte du 2nd Empire. De ces réalités sociopolitiques émerge avec force le besoin pour l'État français de reprendre le monopole de l'Éducation. B. Le monopole de l'École républicaine : une réappropriation indispensable pour l'État De prime abord, dans son plaidoyer de la salle Molière, Jules Ferry critique sévèrement le système éducatif effectif contrôlé par l'Église. A cet égard, il précise, en quoi, dans sa conception de l'enseignement, il est indispensable que l'État soit l'unique initiateur et garant. [...]
[...] Il s'impose donc contre le modèle de l'internat continu pratiqué sous Napoléon 1er, lequel était destiné à inculquer en priorité les préceptes républicains aux pupilles de la nation tout en les soustrayant à l'influence de leur famille. L'aspiration à l'égal accès des hommes et des femmes à l'instruction publique, telle qu'elle avait été amorcée par Victor Duruy en 1867, est dans l'esprit de l'orateur de la salle Molière, le dernier acte de la lutte entre l'Église et l'État laïc en vertu du fait que l'on envisage ici la femme instruite comme la clef de voûte de l'éducation citoyenne de par sa position naturelle de guide envers ses enfants, et elle sera de surcroît en mesure de garantir, une fois son éducation faite, un équilibre intellectuel avec son époux dans le cercle familial. [...]
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