Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 22 octobre 2007, domaine public, domaine forestier, protection de l'environnement
Les personnes morales possèdent chacune un domaine public et un domaine privé, et l'appartenance de leurs biens à l'un ou l'autre est déterminante, dans la mesure où, en cas de litige, elle permet de donner compétence soit au juge administratif (pour les litiges concernant le domaine public), soit au juge judiciaire (pour les litiges relatifs au domaine privé). Cette question de compétence en fonction de l'appartenance au domaine public ou privé d'une personne public est parfois problématique, comme c'est d'ailleurs le cas dans l'arrêt du tribunal des conflits du 22 octobre 2007 qui nous est présenté, opposant le préfet des Bouches-du-Rhône contre la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, et Mademoiselle Doucedame contre le département des Bouches-du-Rhône.
En l'espèce, la requérante avait été victime d'un accident dans une grotte située dans un domaine forestier du département des Bouches-du-Rhône. Elle a alors demandé au Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence la réparation de son préjudice par ledit département. Le préfet du département a présenté un déclinatoire de compétence devant la Cour d'Appel, qui a rejeté celui-ci. Le préfet a alors élevé le conflit, estimant que c'était le juge administratif qui était compétent pour connaître de l'action en responsabilité en cause, au motif que l'accident avait eu lieu dans le domaine public du département.
Le Conseil d'Etat devait donc étudier si le domaine forestier en cause, acquis par un département dans le cadre de la politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles dépourvu d'aménagement spécial faisait ou non partie du domaine public.
Il donne une réponse négative à cette question, estimant que les conditions d'appartenance au domaine public ne sont pas toutes remplies, puisque le domaine forestier du département est, certes, affecté à un service public (I), mais il ne fait pas l'objet d'aménagements indispensables suffisants pour lui permettre de relever du droit administratif des biens (II).
[...] Ainsi, le domaine forestier du département des Bouches-du-Rhône aurait pu, comme le prétendait le préfet du département, être rattaché au domaine public en raison de son affectation au service public touristique. Le tribunal des conflits va cependant privilégié la destination du bien au service public, non pas touristique, mais de protection de l'environnement, en s'appuyant sur les dispositions du code de l'urbanisme L'affirmation de l'affectation au service public de protection de l'environnement grâce au code de l'urbanisme Le tribunal des conflits reprend les dispositions du Code de l'urbanisme, qui donne compétence au département pour élaborer et mettre en œuvre la politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles Il en déduit alors que la mise en œuvre de ces politiques, y compris la simple acquisition des domaines concernés, concourt à la mise en œuvre d'un service public de protection de l'environnement par les départements. [...]
[...] Au vu de ces critères, on pourrait croire que le tribunal des conflits aurait pu estimer que le domaine forestier était donc destiné à l'usage direct du public. Cependant, il a considéré que l'ouverture au public n'était pas une donnée suffisante pour ce faire L'ouverture au public, critère insuffisant pour l'usage direct au public Le préfet du département souligne que le site en cause a été aménagé et ouvert au public et même que l'ouverture au public est une condition de l'existence juridique de l'espace naturel sensible dans la mesure où le code de l'urbanisme donne compétence au département pour mettre en œuvre une politique d'ouverture au public des espaces naturels sensibles dont fait partie le domaine forestier dans lequel s'est déroulé l'accident en l'espèce. [...]
[...] Ainsi, en vertu de ce critère, de très nombreux biens intègrent le domaine public. C'est par exemple le cas des plages ou des églises. On peut ajouter qu'en principe, cette affectation à l'usage du public est destinée à l'ensemble des usagers, et non une catégorie limitée d'usager. En ce sens, le conseil d'Etat, dans l'arrêt de section Association Saint Pie V et Saint Pie X de l'Orléanais, du 19 octobre 1990, avait refusé d'intégrer au domaine public une église mise à la disposition d'une association catholique intégriste par une commune, au motif que cette association ne représentait pas l'ensemble de la communauté des croyants. [...]
[...] Ce refus d'intégrer le domaine forestier dans le domaine public de la personne publique au motif que les aménagements ne qui y sont effectués ne sont pas suffisants va, de plus, dans le sens des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques qui incorpore les bois et forêts des personnes publiques dans leur domaine privé, tant bien même ils sont affectés à un service public et aménagés La confirmation de l'appartenance du domaine forestier au domaine privé des personnes publiques La requérante soutenait en l'espèce que les massifs forestiers n'appartiennent pas au domaine public, et elle le faisait à juste titre. En effet, le législateur a la possibilité de faire échec au critère de l'affectation à un service public ou à l'aménagement indispensable en incorporant des biens dans le domaine privé des personnes publiques. C'est ce qu'il a fait pour les bois et forêts des personnes publiques dans l'article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Les litiges relatifs à ces domaines forestiers relèvent donc de la compétence exclusive du juge judiciaire. [...]
[...] 2111-1, a ajouté le critère réducteur pour les biens affectés à un service public, d'avoir non plus simplement un aménagement spécial, mais un aménagement indispensable. Il s'agissait de réduire le champ d'application de la domanialité publique, car celle-ci s'étendait de plus en plus, et trop facilement et donc trop largement. L'invitation est ainsi faite au juge d'interpréter plus restrictivement l'ancien critère de l'aménagement spécial. Il fallait mettre un terme à la trop grande souplesse dégagée jusqu' là, notamment par exemple avec la jurisprudence Gozzoli. [...]
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