Distinction entre contrat d'entreprise et contrat de vente
« La distinction entre le contrat de vente et le louage d‘ouvrage, ou contrat d‘entreprise, demeure une question mal élucidée, malgré d‘importants efforts doctrinaux ». Cette constatation était celle du Professeur Jérôme Huet en ouverture de sa note sur un arrêt du 5 février 1985 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Or, la qualification entraine de nombreuses conséquences, car les régimes juridiques des deux contrats différent sur plus d‘un point : validité des conventions sur la garantie ou la responsabilité, action directe du fournisseur sous-traitant contre le maître de l‘ouvrage, moment du transfert de propriété de la chose, conditions de détermination du prix… Question donc cruciale sur laquelle il nous est permis de faire le point, plus de vingt ans après celui réalisé par le Professeur Huet, à travers un arrêt de la troisième chambre civile en date du 2 juillet 2008.
En l‘espèce, la société Cogemip maître de l‘ouvrage, a confié à un entrepreneur formé par un groupement de société, le lot gros-œuvre de la construction d‘un lycée. Cet entrepreneur a commandé des matériaux à la SEAC Guiraud frères. Cette dernière demeurant impayée a assigné le maître de l‘ouvrage en indemnisation de ses préjudices.
Déboutée de sa demande, la société SEAC Guiraud frères se pourvoit en cassation au moyen que « la cour d'appel qui a constaté que les produits commandés à la SEAC Guiraud frères exigeaient une adaptation à réaliser pour chaque commande mais qui n'en a pas déduit que le contrat formé entre la SEAC Guiraud frères et la société Axis Midi Pyrénees était un contrat d'entreprise et qu'elle avait la qualité de sous traitant à l'égard de la société Cogemip, n'a pas en statuant ainsi, déduit de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient et a en conséquence violé » l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 et à l'article 1787 du code civil. Et, « qu'ayant cité dans ses conclusions et communiqué aux débats le courrier de la SOCOTEC » selon lequel le contrat était, étant donné les différents produits commandés, un contrat d‘entreprise, et pourtant déduit que « l'adaptation à chaque commande n'impliquait pas une technique de fabrication spécifique à chaque commande et n'était pas incompatible avec une production en série », la cour d‘appel aurait violé l‘article 455 du code de procédure civile.
La question posée à la Cour de cassation est donc de savoir si l‘adaptation d‘un produit standard aux besoins spécifiques du maître de l‘ouvrage entraine la qualification du contrat en contrat d‘entreprise.
La troisième chambre civile répond par la négative, affirmant que « les poutrelles précontraintes étaient bien des produits standard qui n'étaient pas destinés à un chantier en particulier, que la fabrication des prédalles, éléments de structures et dalles alvéolées nécessitait la prise en charge de critères géométriques, de charge et d'emplacement propres à l'ouvrage dans lequel ces matériaux seraient mis en œuvre et que cette adaptation à réaliser pour chaque commande en fonction de mesures précises n'impliquait pas pour autant une technique de fabrication spécifique à cette commande, rendant impossible la substitution d'un produit équivalent, et n'était pas incompatible avec une production en série normalisée », et qu‘ainsi « la SEAC Guiraud frères était un simple fabricant de matériaux de construction et que par suite elle ne pouvait se prévaloir des dispositions de la loi sur la sous-traitance ».
Ainsi, afin de comprendre au mieux cet arrêt et d‘en apprécier la portée, nous verrons dans un premier temps l‘application du critère de spécificité dans la recherche d‘une qualification unitaire de la distinction entre contrat d‘entreprise et contrat de vente (I), puis dans un second temps la résurgence du critère économique dans la précision de la spécificité (II).
[...] L'adaptation ne nécessitait pas d'utiliser une technique de fabrication autre que celles dont dispose l'entreprise donc pas de frais supplémentaires. De plus, une production de masse était possible donc possibilité de rentabiliser la production en réutilisant le modèle utilisé et d'en faire un nouveau produit standard et d'en constituer des stocks. En application des deux adages du critère économique la part la plus importante va entraîner la plus petite, en l'espèce c'est la production standard qui est la plus importante, et donc comme l'accessoire suit le principal la spécificité ne va faire que suivre le caractère standard. [...]
[...] La prédominance de la spécificité parmi les critères de distinction Trois critères ont été dégagés par la jurisprudence afin de distinguer contrat d'entreprise et contrat de vente. Le critère économique avec l'application de deux adages issus de la règle de l'accessoire : accessorium sequitur principale = l'accessoire suit le principal ; major pars trahit ad se minorem = la part la plus importante quantitativement va entraîner ce qui est plus petit. Pour appliquer cette règle, recherche le quantitatif (et non le qualitatif) et on va appliquer le deuxième adage. [...]
[...] Ainsi, afin de comprendre au mieux cet arrêt et d'en apprécier la portée, nous verrons dans un premier temps l'application du critère de spécificité dans la recherche d'une qualification unitaire de la distinction entre contrat d'entreprise et contrat de vente puis dans un second temps la résurgence du critère économique dans la précision de la spécificité (II). I. L'application du critère de spécificité dans la recherche d'une qualification unitaire de la distinction entre contrat d'entreprise et contrat de vente. Les régimes de ces contrats étant très différents, ce sont souvent les intérêts des parties qui vont les pousser à plaider l'une ou l'autre qualification. [...]
[...] Sans remettre en cause les apports de ce critère dans la distinction entre contrat d'entreprise et de vente, il est néanmoins nécessaire de relever qu'il n'est pas exempt d'inconvénients. Outre qu'il est délicat de savoir à partir de quel degré d'exigence du client on pourra parler véritablement de spécificité de travail accompli, ce critère laisse une part, peut-être trop importante, à la volonté individuelle dans la qualification du contrat. Pour se placer sous l'empire d'un contrat d'entreprise, qui pourrait présenter pour lui un intérêt, l'entrepreneur ne risque-t-il pas de formuler quelques exigences particulières qui donneraient à son travail un caractère spécifique, mais seulement en apparence ? [...]
[...] Pour répondre à cette question, la Cour de cassation va avoir recours à l'emploi du critère économique qu'elle va combiner avec le critère de spécificité. II. La résurgence du critère économique dans la précision de la spécificité. Le seul emploi du critère de spécificité n'est pas exempt d'inconvénients il est de plus en l'espèce insuffisant pour qualifier le contrat, c'est pourquoi la Haute juridiction va utiliser le critère économique en soutient de ce premier Le critère économique en soutien du critère de spécificité. [...]
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