Caron, fraude à la loi, sanctions, inopposabilité
De manière générale, les règles de conflit ne doivent pas être utilisées pour écarter la loi qui aurait dû s'appliquer normalement. Cependant, ceci est possible en cas de fraude à la loi commise par un particulier. Cette fraude consiste à modifier l'élément de rattachement de la règle de conflit pour faire varier la loi applicable, pour ainsi éliminer cette fraude à la loi. C'est ce dont parle l'arrêt Caron du 20 mars 1985, de la première chambre civile de la Cour de cassation.
En l'espèce, un américain d'origine française, M.Caron, vivant sur le sol des Etats-Unis est décédé en 1977 laissant deux enfants de nationalité franco-américaine. Cet homme possédait des biens meubles aux Etats-Unis ainsi qu'une villa, bien immeuble, sur la Côte d'Azur, en France. Il souhaite léguer sa fortune à sa secrétaire pour ainsi évincer ses enfants à la succession, ce qu'autorisait le droit américain mais pas le droit français. Alors, concernant son bien immeuble, situé en France, il crée une société civile immobilière aux Etats-Unis dans laquelle il était seul actionnaire et à laquelle il vendit ce bien en question. Alors, dans cette société, le bien immeuble est devenu un bien meuble car il est entré dans son capital et est devenu des parts. Ainsi, cet immeuble devenu meuble n'était plus soumis à la loi française mais à la loi américaine et pouvait ainsi échapper à la réserve héréditaire. Les héritiers de cet homme saisissent le juge.
Le Tribunal de grande instance de Grasse accueille favorablement leur demande et reconnaît le caractère frauduleux de l'opération. La secrétaire fait donc appel devant la cour d'appel d'Aix en Provence qui confirma la décision de première instance. C'est pourquoi, elle forme un pourvoi en cassation.
Le pourvoi affirme que la Cour d'appel ne pouvait pas se baser sur « un ensemble du système de solution de conflits » mais seulement sur une règle de conflit. Autrement dit, la Cour d'appel ne pouvait pas passer de la règle de conflit de la lex rei sitae pour la succession immobilière à la règle de conflit désignant la loi du lieu du dernier domicile du défunt en matière mobilière. La Cour d'appel a répondu que peu importe que la règle de conflit soit unitaire ou complexe, « il suffit que cette règle soit volontairement utilisée, en modifiant un élément de rattachement, à seule fin d'éluder l'application d'une loi compétente ». Pour éviter une fraude, il est alors possible de changer la règle de conflit pour écarter une loi normalement applicable.
Il s'agit alors de se demander s'il est possible de modifier la catégorie de rattachement d'un bien pour éviter l'application normale d'une loi désignée par sa règle de conflit.
La Cour de cassation rejette le pourvoi sauf en ce qui concerne l'inopposabilité de la vente du bien aux héritiers. Ainsi, la Cour affirme la décision de la Cour d'appel en ce qu'il y a bien fraude à la loi et ne tient pas compte de la manipulation. Alors, il est possible de modifier la catégorie de rattachement du bien pour changer de loi applicable et ainsi évincer la loi américaine au profit de celle française.
Il s'agira d'étudier dans un premier temps la minutieuse application de la notion de fraude à la loi par les juges (I) pour ensuite envisager les types de sanctions qui en découlent (II).
[...] I La délicate application de la notion de fraude à la loi Le champ d'application de la notion de fraude à la loi concernant l'élément objectif s'est élargie à partir de notre arrêt à étudier du fait, peut-être, de l'intention frauduleuse caractérisant l'élément subjectif qui se développe Extension du champ d'application de la notion de fraude à la loi à la catégorie de rattachement Cette notion de fraude à la loi signifie qu'une des parties au moins cherche à tirer profit de la diversité des systèmes de conflit de lois. Cette théorie a été fondée, en jurisprudence, par l'arrêt Bauffremont de la chambre des requêtes du 18 mars 1878 par la Cour de cassation. [...]
[...] Volonté d'échapper à la loi normalement applicable L'élément subjectif de la fraude à la loi est cette volonté de changer la catégorie de rattachement pour bénéficier d'une loi plus favorable. C'est mettre tous les moyens en œuvre pour atteindre son but. Cette intention frauduleuse doit se différencier d'une technique appelée forum shopping qui, elle, est licite. En effet, ici, le particulier va choisir le tribunal qu'il souhaite en fonction des règles de conflit qu'il souhaite voir s'appliquer. C'est une manipulation des critères de compétence juridictionnelle. A la base, tout changement de l'élément de rattachement n'est pas forcément frauduleux. [...]
[...] Les héritiers de cet homme saisissent le juge. Le Tribunal de grande instance de Grasse accueille favorablement leur demande et reconnaît le caractère frauduleux de l'opération. La secrétaire fait donc appel devant la cour d'appel d'Aix en Provence qui confirma la décision de première instance. C'est pourquoi, elle forme un pourvoi en cassation. Le pourvoi affirme que la Cour d'appel ne pouvait pas se baser sur un ensemble du système de solution de conflits mais seulement sur une règle de conflit. [...]
[...] Toutefois, depuis cet arrêt de 1985, il existe d'autres formes de manipulation telle que la manipulation de toute une catégorie de rattachement. Ceci consiste à faire en sorte que le problème de droit n'intègre pas telle catégorie juridique mais en intègre une autre qui est plus favorable pour l'intéressé. Il y alors la présence de deux éléments de rattachement en jeu d'où la notion de catégorie car deux catégories vont être concernées par la manipulation. En l'espèce, le problème de droit concernait la nature juridique du bien, de sa villa. [...]
[...] Le juge va distinguer si l'intéressé souhaitait se voir appliquer les conséquences pratiques de ce changement ou s'il voulait simplement échapper à des dispositions impératives du droit français. Par exemple dans notre cas, si M.Caron avait transformé son immeuble en meuble biens des années avant sa mort, peut-être que la qualification de fraude n'aurait pas été retenue. Tandis que là, il a changé la catégorie juridique du bien dès lors qu'il savait que sa mort approchait, pour évincer ses enfants à la succession. L'intention frauduleuse est alors bien caractérisée, en l'espèce. [...]
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