La jurisprudence, comme les textes, attribue d'importantes compétences au juge judiciaire, notamment en ce qui concerne la protection de la propriété privée et la sauvegarde de la liberté individuelle. Dans cette perspective, le juge judiciaire est compétent lorsqu'il y a « voie de fait ».
La voie de fait suppose la réunion de deux conditions cumulatives :
1) Il faut que « l'administration soit manifestement sortie de ses attributions » (CE Ass. 18 novembre 1949, Carlier), car la décision prise est manifestement insusceptible de se rattacher à l'exercice d'un pouvoir appartenant à l'administration (« manque de droit » selon l'expression d'Hauriou), ou parce que l'exécution forcée, d'une décision même légale, est gravement irrégulière (« manque de procédure »).
2) Il faut que cette mesure ait porté atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale.
[...] Ainsi, le professeur Chapus se montre critique à l'égard de ce processus : C'est la folle du logis, présente là où on l'attend le moins, et perturbatrice au-delà de l'acceptable, du fait de la difficulté fréquente du diagnostic comme de l'usage aisément abusif qu'en font maints magistrats judiciaires, que le Tribunal des conflits, trop souvent sollicité, ne parvient guère, cependant, à ramener dans le droit chemin (Droit administratif général, t.1, nº1087). C'est en partie pour cela que le contentieux administratif a été entièrement rénové. Le juge administratif est désormais doté de pouvoirs d'injonction. En outre, une possibilité de référé-liberté a été mise en place, en cas d'urgence et d'action de l'administration dans le cadre de ses pouvoirs. [...]
[...] La gravité de l'illégalité de l'acte peut aussi résulter de l'exécution forcée gravement illégale d'une décision par elle-même régulière. Dans la mesure où l'exécution d'office peut représenter un risque pour les libertés, elle est constitutive de voie de fait, quand il existe d'autres voies de droit pour obtenir l'obéissance des réfractaires et qu'il n'y a pas d'urgence. Exemples de voie de fait : - Exhumation de corps hors du caveau familial (TC 25 novembre 1963, Commune de Saint-Just Chaleyssin) - Evacuation par la force de l'occupant d'un logement de fonction (TC 25 novembre 1963, Epoux Pelé) - Démolition d'office d'un bâtiment construit en infraction avec les règles d'urbanisme (TC 22 juin 1998, Préfet de Guadeloupe / TGI Basse- Terre) Toutefois, il est intéressant de noter que si la loi autorise l'exécution d'office, il n'y a alors pas de voie de fait car, même si elle est irrégulière, l'action de l'administration n'est plus manifestement insusceptible de se rattacher à un de ses pouvoirs. [...]
[...] En effet, ce nouveau dispositif était accusé de brouiller la frontière entre les deux. Si cette dernière est effectivement mince, référé-liberté et voie de fait restent toutefois bien distincts dans la mesure où le premier est utilisé pour les actes manifestement illégaux et la seconde s'applique à ceux manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration. Si la voie de fait venait à disparaître suite à une évolution constitutionnelle, il serait indispensable de respecter les règles constitutionnelles qui veulent que le juge judiciaire soit compétence en matière de protection de la liberté individuelle et de la propriété privée. [...]
[...] Il peut même intervenir en amont par un référé-préventif pour prévenir la voie de fait, en cas de menaces sérieuses pesant sur un droit fondamental. Avenir de la voie de fait La jurisprudence de la voie de fait a été très utilisée au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, suite aux nombreuses saisies et réquisitions souvent injustifiées et portant une grave atteinte au droit de la propriété. Puis, dans les années 1980, la voie de fait a été abusivement invoquée pour tenter de contourner la lenteur de la justice administrative. [...]
[...] Il peut également s'agir de graves mises en cause des libertés fondamentales qui en rendent l'exercice impossible. En matière de liberté individuelle : atteinte au droit d'aller et venir (TC 9 juin 1986, Eucat) En matière de liberté publique : atteinte à la liberté de la presse (TC 8 avril 191935, Action française) En matière de liberté des personnes publiques : atteinte à la libre administration des collectivités territoriales (TC 19 novembre 2007, Préfet du Val de Marne Cour d'appel de Paris) Conséquences L'acte pris par l'administration étant dénaturé, il n'entre plus dans la catégorie des actes administratifs bénéficiant d'un privilège de juridiction. [...]
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