« La solidarité n'existe pas : n'existe qu'une coalition d'égoïsmes. Chacun reste avec les autres pour se sauver soi-même. ».
Cette idée quelque peu pessimiste lancée par Francesco Alberoni ouvre la voie d'une autre analyse de la genèse des systèmes de protection sociale, certainement moins étincelante mais peut être plus exacte. Quelle qu'en soit l'origine, reste que cette évolution a eu lieu au sein de nos sociétés européennes, et il apparaît dès lors pertinent d'en dresser un bref portrait sans pour autant d'attacher à ces considérations qui relèvent plus de la psychologie que de l'analyse juridique.
La source de cette mutation se trouve dans la sempiternelle question de la prise en charge des risques sociaux, définis par l'alinéa 12 du préambule de la Constitution de 1946 comme des « charges qui résultent des calamités nationales ». En effet, dès lors qu'intervient une prise de conscience collective de la gravité du risque en cause et de la nécessité d'une intervention, se pose inévitablement la problématique de leur prise en charge par la société.
Les réponses données par les sociétés de l'époque sont diverses mais ont en commun leur insuffisance. La première d'entre elles est l'entraide à l'échelle de la famille ou de la communauté qui, si elle a l'avantage indéniable de se placer hors de tout commerce, se trouve fortement limitée eu égard aux capacités des familles touchées par la réalisation du risque. La deuxième solution envisagée est la charité privée qui, elle aussi, se place hors du commerce mais est totalement subordonnée à l'animus donandi des citoyens, incertain par nature. La troisième hypothèse est apportée par le mécanisme de responsabilité civile qui tend à faire réparer le dommage causé par son auteur, cependant sa mise en œuvre est soumise à la démonstration d'un lien de causalité entre les deux éléments susmentionnés et la solvabilité du débiteur. Le dernier mécanisme qu'il apparait pertinent d'évoquer est celui de la prévoyance, qu'elle soit à l'échelle individuelle, collective ou d'une entreprise. La prévoyance individuelle est assurée par l'épargne et se limite donc aux catégories les plus aisées de la population, qui ont une moindre propension à consommer. La prévoyance d'entreprise, également appelée patronage, est, elle, fonction du choix de l'employeur et par conséquent assez limitée. Enfin, la prévoyance collective repose en majorité sur des compagnies d'assurance privées qui, dans leur constante recherche de bénéfice, appliquent des principes qui ne permettent pas à tous d'accéder à leurs services. Il existe également le système de mutualité au travers duquel un groupe se protège seul contre les risques qui le touchent. Mais le groupe présentant, par hypothèse, des caractéristiques semblables, les calculs actuariels tendent à limiter les risques pris en charges.
Il résulte de ce bref tour d'horizon qu'aucun des systèmes évoqué ne permet, à cette époque, une prise en charge effective de l'ensemble des risques sociaux. C'est pourquoi, dès la fin du 19ème siècle, l'idée émerge en Allemagne de créer un système solidaire tendant à la protection des risques sociaux à l'échelle de la classe salariale entière. Ce système dit des assurances sociales élaboré par le chancelier fédéral d'Allemagne Otto Eduard Léopold Von Bismarck-Schönhausen trouve un fort écho dans les Etats voisins qui en reprennent les principes de base pour les adapter aux particularismes locaux.
[...] Les deux systèmes étudiés optent pour cette adaptation à la situation de l'affilié, mais l'étalon est différent : Le système allemand assoit le montant à verser sur le salaire de l'affilié alors qu'en France, la cotisation est évaluée, dans une certaine mesure, en fonction du risque couvert et ce, singulièrement en matière d'accident du travail. Par ailleurs, le modèle français ajoute un plafonnement du montant des cotisations. En toute hypothèse, si le montant des prestations se voit adapté, l'application du principe élaboré par les assurances privées de proportionnalité de la prime au risque est écartée. [...]
[...] En effet, pour assurer le succès de cette entreprise, le législateur devait annihiler toute influence de l'imprévoyance individuelle. Seule l'étendue de cette obligation diffère entre les deux systèmes, là où l'Allemagne instaure un seuil du niveau de revenu en deçà duquel tout ouvrier ou employé est tenu de s'affilier, le plan français de sécurité sociale vise tous les « travailleurs », catégorie recouvrant les salariés et indépendants hors du secteur agricole ne bénéficiant pas déjà d'un régime spécial. L'exposé des motifs de l'Ordonnance du 4 octobre 1945 parle de « vaste organisation nationale d'entr'aide obligatoire » Une réelle autonomie de gestion ? [...]
[...] En effet, en Allemagne comme en France, les pouvoirs en place s'inscrivent dans une position de défense du pouvoir en place. Outre Rhin, le Chancelier Bismarck est confronté à une montée en puissance des forces politiques socialistes qu'il convient de gérer efficacement et rapidement, ce qu'il fait en prenant acte d'une partie de leurs revendications relatives à la protection sociale. Sur le territoire national, le Général De Gaulle doit unifier la population autour de son Gouvernement Provisoire de la République Française et écarter les Comités locaux de la Resistance qui se refusent à abandonner leur influence politique acquise durant la Guerre. [...]
[...] En effet, si le montant des sommes versées n'est absolument pas lié à celui des cotisations, il n'en est pas moins proportionné au risque subi. En Allemagne, le niveau de prestations est fixé par la loi selon des calculs actuariels et leur versement se trouve parfois subordonné à une certaine durée d'affiliation. En France, Pierre Laroque explique qu' « il n'y a pas de sécurité véritable si les prestations ne sont pas dans une certaine mesure proportionnées aux revenus perdus. [...]
[...] Le système défendu en France est diamétralement opposé puisqu'il prône l'unicité. Ce regroupement de l'ensemble de services est, selon les rédacteurs de l'Ordonnance de 1945, rendu nécessaire par deux facteurs : d'une part la simplification administrative et d'autre part l'absence d'avantage et d'intérêt à regrouper les affiliés par « affinités ». L'Etat dans un rôle subsidiaire Le principe de la mutualité évoqué plus haut d'autogestion s'entend également du détachement aussi complet que possible des institutions étatiques. Cependant, l'Etat conserve un rôle qui, si effacé qu'il soit, lui permet de surveiller et encadrer la gestion des nouveaux services ainsi créés. [...]
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