D'ordre intérieur, milieu carcéral, libertés individuelles, Conseil d'Etat, Cour Européenne des Droits de l'Homme, détenus
Selon le professeur René Chapus, « les établissements pénitentiaires apparaissent comme le lieu d'une hécatombe des mesures d'ordre intérieur, qui étaient pourtant si florissantes ». Et pour cause, c'est indiscutablement dans le domaine pénitentiaire que l'immunité juridictionnelle des mesures d'ordre intérieur est la plus remise en cause et fait l'objet d'une jurisprudence fournie.
C'est alors que le libellé du sujet « les mesures d'ordre intérieur en milieu carcéral » nous invite à étudier la place de ces décisions au sein de l'administration pénitentiaire, et de la tournure qu'elles tendent à prendre depuis la dernière décennie, selon une dynamique de sauvegarde des droits et libertés fondamentaux.
Le milieu carcéral rattaché au ministère de la Justice depuis 1911, est constitué de différents types d'établissements. En premier lieu, les maisons d'arrêts désignent les établissements susceptibles d'accueillir les prévenus en attente de leur procès, ainsi que les détenus condamnés à une peine d'emprisonnement assez courte (1 an au plus) ou n'ayant plus qu'un an à purger. Ce sont les maisons d'arrêts qui sont le plus touchées par le surpeuplement carcéral. En second lieu, les établissements pour peines désignent les prisons destinées à accueillir les condamnés à de plus longues peines, au sein desquels il faut distinguer, les centres de détention (connaissant un régime plutôt libéral) des maisons centrales ( destinées à accueillir les détenus les plus dangereux). Afin d'assumer sa double mission d'exécution des sentences pénales pour le maintien de la sécurité publique tout en favorisant la réinsertion sociale des détenus, le service public pénitentiaire s'est vu reconnaître un pouvoir d'organisation de son service par des mesures d'ordre intérieur. Ces dernières sont des décisions à caractère général ou individuel qui ont pour objet d'assurer le bon fonctionnement et la discipline au sein de son service public pénitentiaire. On les retrouve aussi au sein de l'armée et de l'éducation nationale, mais c'est néanmoins, les établissements carcéraux qui sont au cœur d'une jurisprudence fortement évolutive, notre analyse doit donc se concentrer sur le milieu carcéral. La notion "d'ordre intérieur", dans les services publics, correspond à la part nécessaire d'auto-organisation de l'administration. Ainsi, les mesures d'ordre intérieur apparaissent comme des actes permettant d'administrer l'administration. Elles traduisent l'existence d'une "vie intérieure" selon une expression d'Hauriou, de l'ordre interne de l'administration dicté par un pouvoir hiérarchique. Cette notion de mesure d'ordre intérieur est apparue dans la jurisprudence sans que le Conseil d'Etat n'en donne aucune explication ou définition alors même que ces actes jouissent d'une totale immunité juridictionnelle.
[...] Le Conseil d'Etat offre à l'administration pénitentiaire un outil permettant une prévisibilité suffisante de la recevabilité d'une mesure, tout en gardant une certaine flexibilité et le souci de respecter la Convention européenne des droits de l'Homme. Cette jurisprudence témoigne en ce sens bien de la recherche d'un équilibre entre l'effectivité et le renforcement du contrôle du juge sans pour autant tendre à le systématiser, car cela reviendrait à faire disparaître la notion de mesures d'ordre intérieur. Une première illustration de cette nouvelle méthode peut être donnée à propos de l'affaire Boussouar. [...]
[...] Ainsi dans l'arrêt Frérot du 8 décembre 2000, le Conseil d'Etat a estimer que la décision d'un directeur d'établissement refusant d'acheminer du courrier entre deux détenus, est une mesure d'ordre intérieur, alors même que ce refus porte atteinte à une liberté fondamentale consacrée par la CEDH : la liberté de correspondance. Dans un autre arrêt Frérot du 12 mai 2003, est aussi considérée comme une mesure d'ordre d'intérieur une décision de placement préventif en cellule disciplinaire. Face à ces décisions critiquées du Conseil d'état, deux interprétations ont été données : la première consiste à affirmer que la jurisprudence Frérot de 2003 n'a aucune portée car elle serait remise en cause par la jurisprudence Remli qui lui est postérieure. [...]
[...] Ce n'est qu'après cette appréciation de la recevabilité de la requête sur la base d'une grille de lecture que le juge administratif peut examiner la demande au fond. Cet effort de catégorisation ou de formalisation a pour but de réduire l'instabilité juridique qui pèse sur la catégorie des mesures d'ordre intérieur. De cette manière, le juge ne doit pas avoir une approche exclusivement juridique de la mesure, mais au contraire concrète, pour apprécier sa nature et ses effets sur la situation des détenus. Certaines catégories de mesures sont, en fonction de leur nature et de leurs effets susceptibles d'un recours, d'autres non. [...]
[...] Ainsi cela permet de dégager les cas de mesures pouvant ou non faire l'objet d'un recours juridictionnel, contre une décision de l'administration pouvant violer les droits fondamentaux de l'Homme au sein de l'univers carcéral, alors que les personnes enfermées se voient déjà restreindre leur liberté. Comment à travers la jurisprudence du Conseil d'Etat, le domaine d'application des mesures d'ordre intérieur a-t-il évolué en milieu carcéral depuis une dizaine d'années dans un mouvement de protection des droits et libertés des détenus ? [...]
[...] Néanmoins, de nos jours, et ce depuis un peu plus d'une décennie, cette immunité juridictionnelle s'est révélée être une grave lacune du fait du développement du droit et des libertés individuelles. Le juge a alors tenu compte de cette demande sociale et accru a son contrôle de l'administration. C'est à cet égard qu'un revirement jurisprudentiel sans précédent a été opéré en 1995 par les deux arrêts Marie (relatif au milieu carcéral) et Hardouin (relatif au milieu militaire). Il convient alors de focaliser l'analyse de l'évolution de la place des mesures d'ordre intérieur en milieu carcéral à partir de cette date charnière. [...]
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