Dans sa chronique publiée en 1962, le professeur Rivero utilise le "mythe du bon sauvage" initié par Montesquieu pour mettre en perspective les insuffisances que présentait la juridiction administrative. Il justifiait ainsi sa démarche : si "l'intelligence interne d'un système juridique garde une place irremplaçable [...] il faut la compléter en portant sur lui, grâce à la comparaison, un regard déshabitué, ce regard que les hommes du XVIIIe siècle, en déchaînant sur les institutions de l'ancienne France l'invasion littéraire de leurs hurons, ingénus et autres bons sauvages, tentaient de projeter sur elles avec plus ou moins de bonheur".
C'est dans le cadre d'un cours de droit comparé que Jean Rivero a élaboré ce texte, comme l'explique Fabrice Cazaban (Jean Rivero, comparatiste, RFDA 2009 p. 1066) : "Après avoir comparé le système français aux systèmes allemand, belge, néerlandais, suédois, anglais et soviétique, il [Rivero] observa que "le système français conserve, à l'égard de l'Administration, des ménagements que n'imposent ni les nécessités pratiques, ni des principes supérieurs et qui diminuent de beaucoup son efficacité", pointant les problématiques de l'effet non suspensif des recours, de la limitation du rôle du juge à la pure et simple annulation et de l'absence de toute sanction à l'obligation d'exécuter."
[...] Ceux-ci ont pu trouver leur expression dans la création d'autorité administrative indépendante comme le Médiateur de la République par la loi du 3 janvier 1973 ou encore de la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) par la loi du 17 juillet 1978. Ainsi le développement récent des règles assurant le respect par l'administration des décisions de justice peut s'inscrire dans ce mouvement d'une protection accrue contre l'administration. Au vu de l'évolution présentée il ne semble pas improbable que le Huron ou ses descendants reviennent aujourd'hui au Palais-Royal. [...]
[...] Le juge administratif se voit reconnaître un pouvoir d'injonction (aujourd'hui codifié à l'article L. 911-1 du code de justice administrative) : si sa décision implique des mesures d'exécution dans un sens déterminé le juge pourra prescrire ces mesures de manière expresse et directe et les assortir le cas échéant d'un délai d'exécution. A défaut que ces prescriptions soient possibles, le juge pourra ordonner la réalisation d'une nouvelle instruction. Enfin, l'injonction et son astreinte peuvent être concomitantes à la décision. Le juge administratif n'est donc plus seulement au sein de l'exécutif il est également au-dessus en ce qu'il dispose d'un pouvoir ascendant de coercition sur l'administration. [...]
[...] La satisfaction de l'Etat de droit Je reviendrai, dit-il, lorsque l'avenir aura répondu à votre confiance, et que le citoyen trouvera, dans le recours, les satisfactions effectives auxquelles nous autres, modestes Hurons, attachons un prix sans doute excessif Par cette phrase, le professeur Rivero montre le passage d'un souci de satisfaction du justiciable à celle du citoyen. La lutte contre l'arbitraire a poussé l'amélioration de l'effectivité de la chose jugée. Dans l'optique où le juge administratif est un rempart contre l'arbitraire le fait que l'administration soit en mesure de ne pas donner suite à ses jugements constitue un manquement à l'Etat de droit. Indéniablement, les évolutions législatives et jurisprudentielles précédemment décrites vont dans le sens d'un renforcement de l'Etat de droit. [...]
[...] Il faudra tout d'abord étudier l'évolution de la place du juge administratif au sein de l'exécutif avant de voir en quoi cette évolution de trouve justifiée par la mission même du juge administratif (II). I. L'évolution de la place du juge administratif vis-à-vis de l'exécutif Bien que la nature des choses ait originellement placé la fonction de juger [l'administration] [ au sein de l'exécutif distincte de celle d'agir (Rivero) le législateur l'a récemment installée au sein en même temps qu'au-dessus de l'exécutif (Pacteau) en la confondant davantage avec celle d'agir Ce mouvement est celui de l'octroi au juge de davantage de pouvoir dans la maîtrise de l'effectivité de la chose jugée. [...]
[...] Cette procédure d'« aide à exécution n'avait pas force contraignante mais n'était pas pour autant dépourvue d'autorité notamment via la publication dans le rapport annuel. De plus, elle sera étendue aux juridictions territoriales puis déconcentrée. La possibilité était également aux ministres (puis à toute autorité intéressée (article R.931-1 du code précité)) de demander des éclaircissements sur la mise en œuvre des décisions du Conseil d'Etat. La loi du 24 décembre 1976 instaurant le Médiateur de la République lui confiait un pouvoir d'injonction dans le cadre de l'exécution des jugements mais dépourvue de sanction. [...]
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