Le pouvoir réglementaire qu'exercent les autorités décentralisées a été, et reste encore aujourd'hui, un objet de débat doctrinal. La raison de ce débat réside dans le fait que la question est écartelée entre les exigences opposées de l'unité de l'Etat et de son ordre normatif d'un côté, et de l'autonomie des collectivités locales portée par le principe constitutionnel de libre administration de l'autre.
En dépit de l'absence d'autonomie normative des collectivités locales, le pouvoir réglementaire local est néanmoins un pouvoir de droit commun. Faculté dont disposent les autorités exécutives et administratives de prendre unilatéralement des actes exécutoires comportant des dispositions générales et impersonnelles, ce pouvoir se déploie aussi bien pour prendre en charge tout besoin d'intérêt local sur la base de clause générale de compétence, que pour l'exercice des domaines de compétence expressément transférés aux collectivités (services publics, fiscalité, police...).
Tel est le cas concernant par exemple, les régimes indemnitaires des agents de la fonction publique territoriale (supplément au traitement des fonctionnaires distinct des autres éléments de rémunération comme l'indemnité de résidence ou le supplément familial). L'article 88 tel qu'issu de la loi du 28 novembre 1990 a en effet transféré le pouvoir réglementaire, de l'autorité nationale aux autorités locales. De nombreuses collectivités territoriales ont alors profité de ce nouveau pouvoir réglementaire pour instituer des régimes indemnitaires et ce, malgré l'invitation que leur adressaient certains préfets à attendre un décret d'application. Face à cette absence d'écoute, certains de ces préfets ont donc déféré ces délibérations à la censure du juge administratif. Plusieurs tribunaux administratifs donnèrent alors raison aux préfets en estimant que les collectivités ne pouvaient user de leur nouveau pouvoir avant l'intervention d'un décret national d'application. En revanche, d'autres ont jugé, au moins implicitement, le contraire.
Face à cette incertitude, le tribunal administratif de Caen a quant à lui préféré interroger le Conseil d'Etat pour qu'il rende un avis sur cette question. Le tribunal remplissait en effet les conditions nécessaires à la transmission du dossier au Conseil d'Etat puisqu'il se trouvait face à une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges.
Le préfet du Calvados avait en effet déféré au tribunal une délibération du conseil général de ce département instituant un nouveau régime indemnitaire. Il invoquait à l'appui de son déféré, le moyen selon lequel l'article 88 n'était pas immédiatement invocable.
Le Conseil d'Etat s'interroge alors sur le point de savoir si les dispositions de l'article 88 de la loi du 28 novembre 1990 étaient entrées en vigueur dès leur publication et donc permettaient l'intervention directe du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales ou si elles nécessitaient un décret national d'exécution qui les rendent applicables.
Par son avis rendu le 20 mars 1992, le Conseil d'Etat évoque tout d'abord la législation en la matière, notamment l'article 88 de la loi, autorisant les collectivités territoriales à prendre des mesures concernant les régimes indemnitaires. En cela, le Conseil d'Etat rappelle que les collectivités locales disposent d'un pouvoir réglementaire en la matière. Cependant, il n'oublie pas non plus de mentionner l'article 140 de la loi disposant qu'en cas d'absence de précision dans la loi, un décret en Conseil d'Etat est nécessaire pour son application. Il en conclut alors qu'en l'espèce, la loi n'est pas suffisamment précise et que, par conséquent, l'intervention du pouvoir réglementaire national est nécessaire avant toute intervention des collectivités territoriales en la matière, faisant ainsi différer l'application de ladite loi. Les collectivités territoriales ne pourront alors intervenir qu'une fois que l'autorité nationale aura élaboré son décret d'application. La réglementation locale ne pourra donc s'exprimer que dans les limites et les références tracées par le décret national, faisant ainsi passer l'intervention des assemblées délibérantes locales au « second plan ».
Par conséquent, l'avis retrace la possibilité accordée au pouvoir réglementaire local d'intervenir, tout en préférant cependant accorder la prééminence à l'intervention du pouvoir réglementaire national.
[...] Le principe de parité n'est donc pas le seul principe dont le contenu risquerait d'être mis à mal. En effet, le principe d'égalité entre la fonction publique territoriale et la fonction publique de l'Etat, mais aussi entre les fonctionnaires territoriaux eux-mêmes pourraient se voir remis en cause si les collectivités peuvent adopter des mesures trop diversifiées entre elles. Cela remettrait en cause, par voie de conséquence, le principe d'unité de la fonction publique territoriale, unité voulue par le législateur. Enfin, si trop de différences existent au sein de cette fonction publique territoriale et entre les deux fonctions publiques déjà évoquées, alors cela remettrait en cause, in fine, le principe de mobilité des agents au sein de la fonction publique territoriale et entre les deux fonctions publiques, principe reconnu pourtant comme garantie fondamentale d'après la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. [...]
[...] L'obligation semblait naturelle afin d'éviter des comparaisons entre agents qui ne tiendraient pas compte des activités et des hiérarchies. Des assimilations ainsi abusives ou déplacées n'auraient d'autre but que de mieux rémunérer les fonctionnaires locaux et rendre plus attractive la fonction publique territoriale. Le texte de loi invite en effet à une différenciation, par niveaux, catégories, spécialités, puisqu'il parle des différents services de l'Etat Il y a donc, sinon une volonté d'équivalence absolue, au moins une volonté de référence et de limites. [...]
[...] Autrement dit, il ne pourrait plus appliquer spontanément une loi qui aurait des conséquences sur la libre administration des collectivités locales. Ainsi, l'autonomie locale paraît mieux servie par cet avis qu'il n'y semblait au premier abord. L'avis peut en ce sens être rapproché de la jurisprudence Syndicat communautaire d'aménagement de l'agglomération nouvelle de Cergy-Pontoise du 13 février 1985 dans laquelle le Conseil d'Etat décida, qu'en l'absence de renvoi à un décret, il appartenait, de fait, aux autorités décentralisées de déterminer les modalités d'élection aux comités d'hygiène et de sécurité des collectivités locales et de leurs établissements publics. [...]
[...] Ainsi, puisque les avantages consentis au titre du régime indemnitaire ont un caractère facultatif, et puisque les collectivités territoriales ont l'assurance de pouvoir s'administrer librement, alors il semble normal que ces dernières soient libres d'instituer ou de ne pas instituer un régime indemnitaire. Par conséquent, la position des collectivités consistant en la prise de décisions directes, sans l'intervention d'un décret national, semble légitime. Il n'est en effet en aucun absurde de penser que si les collectivités peuvent s'administrer librement, alors, elles peuvent, sans l'intervention préalable de l'autorité nationale, prendre des décisions concernant le régime indemnitaire de leurs agents locaux. [...]
[...] Commentaire de l'avis du Conseil d'Etat du 20 mars 1992, Préfet du Calvados Le pouvoir réglementaire qu'exercent les autorités décentralisées a été, et reste encore aujourd'hui, un objet de débat doctrinal. La raison de ce débat réside dans le fait que la question est écartelée entre les exigences opposées de l'unité de l'Etat et de son ordre normatif d'un côté, et de l'autonomie des collectivités locales portée par le principe constitutionnel de libre administration de l'autre. En dépit de l'absence d'autonomie normative des collectivités locales, le pouvoir réglementaire local est néanmoins un pouvoir de droit commun. [...]
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