Conseil d'Etat, section contentieux, 1er octobre 2010, retrait, décision, nomination, magistrat, ordre judiciaire
En l'espèce, une auditrice de justice utilise frauduleusement en juin et juillet 2007 le numéro de carte de crédit d'un magistrat auprès duquel elle avait effectué un stage. Elle est nommée aux fonctions de magistrat par décret du président de la République en date du 18 juillet 2007. Elle est suspendue de ses fonctions à compter du 30 août 2007 puis elle fait l'objet d'une sanction d'exclusion définitive de l'École nationale de la magistrature par décision de la ministre de la justice en date du 11 octobre 2007. Un arrêté de la même ministre en date du 13 octobre 2007 met fin à ses fonctions d'auditeur de justice. Par décret du 16 novembre 2007, le Président de la République rapporte le décret du 18 juillet 2007 qui avait nommé l'auditrice dans les fonctions de magistrat.
L'auditrice devenue magistrate saisit le Conseil d'État d'une demande d'annulation des décisions de la ministre de la justice et du décret du Président de la République en date du 16 novembre 2007 pour excès de pouvoir.
La Haute juridiction devait s'interroger sur le point de savoir si est légal le retrait intervenant moins de quatre mois après la prise d'une décision créatrice de droits qui conférait à son bénéficiaire le statut de magistrat de l'ordre judiciaire.
Le Conseil d'État répond par la négative, annulant les trois décisions.
En premier lieu, le Conseil d'État annule le décret du Président de la République en date du 16 novembre 2007 au motif que le celui-ci ne pouvait pas rapporter le décret du 18 juillet 2007, fût-il illégal, puisque le principe de séparation des pouvoirs et celui de l'indépendance de l'autorité judiciaire, qui traduisent respectivement l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 64 de la Constitution de la Vème République qui ont valeur constitutionnelle, imposent que des garanties particulières s'attachent à la qualité de magistrat de l'ordre judiciaire. Les magistrats ne pouvant se voir retirer leur qualité et les garanties particulières qui s'y attachent qu'en vertu de dispositions expresses de leur statut et dans les conditions prévues par celles-ci, le Président de la République ne pouvait pas rapporter le décret puisqu'aucune disposition ne prévoyait qu'un magistrat de l'ordre judiciaire puisse se voir privé de sa qualité en dehors de la procédure disciplinaire régie par les dispositions figurant au chapitre VII de l'ordonnance du 22 décembre 1958.
[...] de la section du contentieux du Conseil d'État en date du 1er octobre 2010 envisage la question du retrait d'une décision de nomination d'un magistrat de l'ordre judiciaire. En l'espèce, une auditrice de justice utilise frauduleusement en juin et juillet 2007 le numéro de carte de crédit d'un magistrat auprès duquel elle avait effectué un stage. Elle est nommée aux fonctions de magistrat par décret du président de la République en date du 18 juillet 2007. Elle est suspendue de ses fonctions à compter du 30 août 2007 puis elle fait l'objet d'une sanction d'exclusion définitive de l'École nationale de la magistrature par décision de la ministre de la justice en date du 11 octobre 2007. [...]
[...] Le seul décret de nomination du Président suffit donc à obtenir le statut de magistrat. L'inobservation des formalités imposées par la loi ne faisait donc pas obstacle à l'acquisition de ce statut. Le Conseil d'État retient donc que le ministre a commis une erreur de droit puisqu'ayant perdu le statut d'auditeur et d'élève de l'ENM par sa nomination, la requérante ne pouvait faire l'objet d'une suspension. Les décisions du ministre de la justice intervenant après la nomination et mettant fin aux fonctions d'auditeur de justice de la requérante et l'excluant de l'ENM semblent ainsi superfétatoires. [...]
[...] Or en l'espèce, ce sont des normes constitutionnelles qui interviennent, par une interprétation du juge administratif plus que par l'existence d'une norme interdisant le retrait d'une décision de nomination d'un magistrat. Le régime de retrait se voit donc tempéré par le présent arrêt : la décision de retrait ne doit pas entrer en contradiction avec une disposition constitutionnelle. Une portée limitée liée au statut particulier de magistrat La solution de non-application de la jurisprudence Ternon a toutefois une portée limitée car en l'espèce, la situation se révèle particulière en raison du statut de magistrat de l'ordre judiciaire de la requérante, lequel met en jeu les principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire, protégés par la Constitution. [...]
[...] La solution ne semble pas contestable en ce que les décisions avaient pour dessein de modifier l'ordre juridique existant, par le retrait de la décision de nomination. Cependant, au delà de leur dessein originel, ces actes paraissent en réalité superfétatoires, puisque les décisions de mettre fin aux fonctions d'auditeur de la requérante et de l'exclure de l'ENM sont intervenues une fois que cette dernière avait perdu ces statuts. La décision par voie de conséquence de l'annulation du décret de retrait Le Conseil d'État donne droit au recours en excès de pouvoir dirigé contre les décisions de la ministre de la justice. [...]
[...] Par cet arrêt, le Conseil d'État refuse de manière justifiée l'application à l'acte de nomination d'un magistrat le régime jurisprudentiel de retrait Son refus, qui s'exerce par l'annulation du décret de retrait, entraîne logiquement avec lui l'annulation des sanctions prononcées par la ministre (II). Le refus justifié d'appliquer le régime jurisprudentiel de retrait à l'acte de nomination d'un magistrat Le refus du Conseil d'État d'accepter le retrait de l'acte de nomination d'un magistrat constitue un tempérament au régime de retrait ; lequel est imposé par le respect de la hiérarchie des normes Cependant, la portée de ce tempérament est limitée du fait du statut particulier de magistrat Un tempérament au régime de retrait imposé par le respect de la hiérarchie des normes Le régime de retrait des décisions individuelles créatrices de droit a été fixé par l'arrêt Ternon du Conseil d'État (CE Ass octobre 2001) : « l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision » et sous réserve de dispositions législatives ou règlementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire. [...]
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