Conseil d'Etat, 7 février 2003 GISTI, Abrogation et retrait des actes administratifs, CE, commentaire
Le Groupe d'Information et de Soutien des Immigrés (GISTI) est un groupe qui lutte régulièrement pour le droit des immigrés en France. Il fait par conséquent souvent des recours devant le Conseil d'Etat pour obtenir gain de cause, comme se fut le cas le 8 décembre 1978, où un décret limitait le droit du travail des immigrés fut annulé.
En l'espèce, Le GISTI a demandé au Premier ministre le 8 novembre 2001, d'abroger le décret-loi du 6 mai1939 contrôlant la liberté de presse, et notamment la publication de journaux en langues étrangères ou de journaux étrangers en langue française. Il s'agissait ici d'une révision de l'article 14 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1981.
Le Premier ministre n'a pas répondu à cette demande, et a laissé s'écouler deux mois, délai à partir duquel le silence gardé vaut décision implicite de rejet.
Le GISTI se tourne alors vers le Conseil d'Etat afin de voir annuler cette décision implicite de rejet, et de voir abrogé le décret du 6 mai 1939. En effet, le Conseil d'Etat statut en premier et dernier ressort pour les recours pour excès de pouvoir en matière de décret.
Le recours est-il recevable, et le Conseil d'Etat est-il compétent pour recevoir les recours contre une décision implicite de rejet ? Quelles seront les conséquences d'une abrogation du décret ? Le décret est-il conforme à la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ?
Ce sont à ces questions que le Conseil d'Etat a dû répondre. Dans un premier temps, il affirme sa compétence pour un tel recours, et résout donc la question de la recevabilité. Ensuite, il examine le décret par rapport à la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et estime qu'il porte une atteinte disproportionnée aux libertés garanties par celles-ci. Par conséquent, Le Conseil d'Etat, le 7 février 2003, annule la décision implicite de rejet du Premier ministre, et enjoint celui-ci à annuler le décret.
Cet arrêt, est intéressant, car il poursuit l'évolution déjà engagée dans l'arrêt « Association Ekin » du 9 juillet 1997 concernant l'interdiction des publications étrangères. Toutefois, il apporte quand même une évolution.
Le raisonnement du Conseil d'Etat peut donc se diviser en deux étapes : sa compétence, et la recevabilité du recours contre un refus d'abrogation implicite d'une part (I), et d'autre part, son analyse du décret par rapport aux jurisprudences antérieures et à la Convention Européenne des droits de l'Homme en matière de presse étrangère (II).
[...] Cela se passe en deux temps : il affirme d'abord l'obligation d'abroger une disposition illégale pour les autorités compétentes puis il affirme que cela l'est également los d'un changement de circonstances de droit et de fait A L'obligation d'abroger une disposition règlementaire illégale pour les autorités compétentes Pour commercer, le Conseil d'Etat explique que le Premier ministre n'aurait pas dû garder le silence pour une demande d'abrogation d'un règlement peut- être illégal : l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer [ ] Le Conseil d'Etat va donc se substituer au Premier ministre, et rechercher si la disposition du 6 mai 1939 était illégale ou non. Ainsi, le Conseil d'Etat va observer que ce décret n'a fait l'objet d'une ratification législative, contrairement à ce que prétendait le ministre de l'Intérieur. Ce dernier, avançait qu'une disposition pénale, prise en 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal avait eu pour effet de ratifier implicitement le décret. [...]
[...] Le Conseil d'Etat a donc affirmé que le Premier ministre aurait du vérifier la légalité de ce décret, et non garder le silence. Toutefois, quand quelles conditions aurait-il du examiner cette demande ? B L'obligation d'abroger une disposition règlementaire illégale lors d'un changement de circonstances de droit et de fait Le Conseil d'Etat, en affirmant que le Premier ministre aurait du satisfaire la requête du GISTI, ajoute les conditions de cette obligation : [ ] soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date En l'espèce, le décret n'a jamais été ratifié, donc jamais signé. [...]
[...] Ce sont à ces questions que le Conseil d'Etat a dû répondre. Dans un premier temps, il affirme sa compétence pour un tel recours, et résout donc la question de la recevabilité. Ensuite, il examine le décret par rapport à la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et estime qu'il porte une atteinte disproportionnée aux libertés garanties par celles-ci. Par conséquent, Le Conseil d'Etat, le 7 février 2003, annule la décision implicite de rejet du Premier ministre, et enjoint celui-ci à annuler le décret. [...]
[...] Et en effectuant le contrôle de proportionnalité, la CEDH a estimé que l'atteinte portée à ces principes n'était pas proportionnée à l'éventuelle atteinte de l'intérêt général que pourrait générer l'autorisation des publications. Ainsi, on constate que dans l'arrêt GISTI, le Conseil d'Etat suit et reprend la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme. Mais en reprenant cette jurisprudence européenne de 2001, le Conseil d'Etat réalise un revirement de jurisprudence sur le plan interne. B La réaffirmation du revirement de jurisprudence L'affaire GISTI de 2003 confirme le revirement de jurisprudence déjà opéré dans l'affaire Ekin du 9 juillet 1997. [...]
[...] Mais avec l'arrêt 1997, le Conseil d'Etat a opéré une qualification juridique des faits. En 2003, dans l'arrêt d'espèce, ce revirement de jurisprudence de 1997 est repris. Toutefois, le Conseil d'Etat l'a fait évoluer. En effet, le Conseil d'Etat établi un contrôle de proportionnalité qui lui permet de vérifier l'adéquation de la mesure de censure de la presse étrangère et les répercutions réelles sur l'ordre public. Il vérifie donc si la mesure de censure et son atteinte aux libertés qui en découlent, sont bien fondées. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture