Conseil d'Etat, 26 octobre 2011, association, promotion, image
« Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! » Patrick McGoohan, Le Prisonier. L'utilisation des fichiers de données est ancienne dans la police, puisque dès la révolution Fouchet en avait constitués sur tous les personnages politiques importants. Les progrès de l'informatique rendant le développement de ces fichiers plus aisé des limites sont érigées pour protéger la vie privée des personnes. C'est notamment ce que fait le Conseil d'État dans cet arrêt récent de 2011, en rappelant le principe de nécessité et de proportionnalité des mesures prises dans le domaine du fichage des données personnelles.
Le décret du 30 avril 2010 pris en Conseil d'État par le premier ministre modifie le décret du 30 décembre 2005 notamment en ajoutant le recueil dans le composant électronique dans passeports de l'image numérisée et des empreintes digitales de deux doigts, et l'enregistrement de l'image numérisée du visage et de l'empreinte digitale de huit doigts pour toute personne d'au moins six ans dans un fichier de traitement automatisé centralisé de ces données pour permettre de vérifier les identités des personnes lors des demandes relatives aux passeports. Ce fichier, créé par le ministre de l'intérieur, exclue les dispositifs de reconnaissance et d'identification des personnes grâce à ces données.
L'association pour la promotion de l'image ainsi que d'autres personnes introduisent un recours en annulation contre ce décret devant le Conseil d'État. Selon les requérants ce décret viole la répartition des compétences posée par l'article 34 de la Constitution qui prévoit que « la loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques », et viole les articles 8-2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CSEDH, ou la Convention) et 2-3 du quatrième protocole additionnel qui limitent les ingérences au droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté de circulation des personnes à des restrictions prévues par la loi. Les requérants arguent également que le décret méconnaît l'article 8 de la CSEDH, l'article 16 de la convention relative aux droits de l'enfant de 1990, et les articles 1 et 6-3 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
[...] De plus le Conseil d'État souligne que l'article 27 de cette loi donne compétence au pouvoir réglementaire pour créer des traitements de données nécessaires à l'identification des personnes. Ainsi, le principe d'ingérences de la loi ou du règlement dans le traitement et la conservation des données personnelles est possible. Toutefois, puisque le droit au respect de la vie privée est un droit fortement protecteur de l'individu, toute ingérence doit être soumise à des conditions, posées de façon assez similaire par les textes sus-cités. [...]
[...] Pour l'article 8§2 de la CESDH, l'ingérence prévue par la loi dans le droit au respect de la vie privée doit constituer « une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, [ ] à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales ». Le conseil d'État ne se prononce pas directement sur la conventionnalité du décret. Toutefois, puisqu'il ne déclare pas le décret inconventionnel, c'est qu'il le considère compatible avec la Convention. En effet, la falsification et la contrefaçon de papier d'identité constituent des infractions pénales, ce qui rend la nécessité du décret compatible avec la Convention. [...]
[...] Toutefois, le Conseil d'État rappel dans un arrêt Roujansky de 1984 que cette déclaration est dépourvue de valeur normative. On trouve ensuite l'article 8 de la CESDH qui stipule que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée ». Si a priori le rattachement de la protection des données personnelles à cet article n'est pas certain, c'est la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, ou la Cour) qui effectue ce rattachement dans l'arrêt Rotaru contre Roumanie en 2000. [...]
[...] Le décret ainsi légal et conventionnel sur ces points. Ensuite, sur les moyens de légalité interne, le Conseil précise que les dispositions du décret sont conformes aux nécessités légales et conventionnelle de respect de la vie privée des individus, puisque les dispositions du décret sont nécessaires et proportionnées au but poursuivi, sauf en ce que le décret permet la conservation de l'image de huit empreintes digitales quand seulement deux sont conservées sur le passeport même. Ainsi la conservation de données personnelles permise par le décret constitue une ingérence au droit au respect de la vie privée mais cette ingérence est possible dans la mesure où elle sert une finalité légitime et qu'elle passe par des mesures adéquates et proportionnées (II). [...]
[...] Plus spécifiquement, la convention relative aux droits de l'enfant de 1990 est ici invoquée par les requérants. En effet, le décret attaqué prévoit que les données des personnes âgées de plus de six ans seront conservées. Les mineurs sont donc visées. L'article 16 de la convention de 1990 prévoit que « Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée ». Les données personnelles des mineurs sont donc spécialement protégées. Toutefois cette protection spéciale apparaît plus symbolique que juridique, dans la mesure où l'article 8 de la CESDH protège également les majeurs et les mineurs, et bénéficie d'une jurisprudence propre plus protectrice. [...]
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