Droit, commentaire d'arrêt, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 7 février 2003, nature du décret-loi
L'arrêt commenté, rendu par le Conseil d'État le 7 février 2003, traite de la question de la nature du décret-loi (en l'espèce, le décret-loi du 6 mai 1939) en rapport à la possibilité pour le juge administratif de statuer, par le biais du contrôle de conventionalité, sur sa légalité.
Le Groupe d'Information et de Soutien des Immigrés (GISTI) enregistre une requête, le 28 février 2002, au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, par laquelle il demande l'annulation du rejet implicite par le premier ministre. La requête porte sur une demande d'abrogation du décret-loi du 6 mai 1939, qui dispose la possibilité d'interdire la distribution en France de journaux ou écrits périodiques rédigés en langue étrangère. Ce décret-loi vient modifier l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Le GISTI demande, de plus, que le Conseil d'État enjoigne le premier ministre à abroger ledit décret-loi sous astreinte.
[...] Dès lors que le décret-loi recouvre une forme réglementaire, le premier ministre est compétent pour abroger un texte dont les dispositions sont illégales, comme l'avait déjà reconnu le Conseil d'État dans son arrêt Mme Vedel et M Jannot de 1995. Alors même que la matière sur laquelle porte le décret-loi relève du domaine de la loi, si aucune ratification n'est intervenue, il demeure sous sa forme réglementaire et peut donc être abrogé par le premier ministre. La solution retenue dans l'arrêt GISTI s'inscrit en effet dans le sillage de la décision Alitalia de 1989. [...]
[...] Le Conseil d'État a été inspiré, dans son revirement restrictif des pouvoirs de police, par une jurisprudence européenne intransigeante. La CESDH a en effet amorcé la fin d'un décret-loi discriminatoire en produisant une insécurité juridique par son arrêt du 17 juillet 2001. Les juges français, ainsi taclés par Strasbourg, n'ont eu d'autre choix que de resserrer l'étau autour d'un décret-loi reconnu comme définitivement illégal car approximatif par rapport à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme de Rome. [...]
[...] Bien que le gouvernement, dans le cas d'espèce, ait soutenu l'existence d'une ratification implicite par la loi de 1992, le Conseil d'État s'y oppose. La Haute juridiction affirme que nul indice ne permettait de démontrer la volonté du législateur de modifier l'article 14 de la loi de 1881, et donc l'intention de ratifier le décret-loi de 1939. Le refus de reconnaître la ratification implicite de l'acte s'inscrit donc dans le prolongement de la jurisprudence antérieure à 2003, afin de combler la nécessité d'encadrer les délégations législatives. [...]
[...] Le Conseil d'État reconnaît, dans cet arrêt, ne pas trouver un contrepoids à la généralité des termes de l'article 14. La CESDH avait cependant déjà rappelé, dans l'arrêt Ekin, que l'apport de la jurisprudence quant aux conditions de mise en œuvre de l'article 14 avait, dans certains cas, donné lieu à des résultats pour le moins surprenants, voire confinant à l'arbitraire, selon la langue dans laquelle la publication est écrite et le lieu de provenance Le juge de Strasbourg, comme le droit européen en général, requiert une netteté suffisante de la loi afin de garantir à chaque individu une protection efficace contre l'arbitraire (notamment dans l'arrêt CESDH mars 1996, Goodwin RU). [...]
[...] Par cette jurisprudence, le juge administratif admet donc que la volonté de ratifier clairement exprimée lors de l'élaboration d'une loi n'ayant pas pour objet la ratification d'un décret-loi suffit à le ratifier et donc à lui conférer valeur législative Mais, dès 1939, par un arrêt Chambre syndicale des propriétaires marseillais et du département des Bouches du Rhône la juridiction administrative reconnaîtra la ratification implicite, en dégageant cependant une condition essentielle : la ratification devra résulter d'une manifestation de volonté, bien qu'implicite, clairement exprimée par le parlement. En l'espèce, le simple dépôt d'un projet de loi de ratification ne valait pas, aux yeux du Conseil d'État, ratification implicite. La décision du 7 février 2003 n'innove donc pas sur ce point. Le Conseil d'État ne releva aucun indice qui aurait permis d'envisager la reconnaissance du décret-loi de 1939 par le législateur. Dès lors, les juges concluent dans le sens d'une absence de ratification, dans la continuité des principes rappelés ci-avant. [...]
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