VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique portatif, article « De la torture »
[...] Ce livre ne prétend pas, comme l'Encyclopédie, dresser un inventaire du savoir, mais donner à réfléchir au lecteur sur des sujets majeurs de la pensée des Lumières. Le livre répond à une intention polémique : il doit permettre de lutter contre l'autoritarisme politique, le pouvoir de l'Eglise catholique et, plus largement, contre l'intolérance religieuse. L'article « Torture », tel qu'il apparaît dans l'édition de 1769, est une argumentation directe contre l'injustice. Comment l'ironie de Voltaire est utilisée dans cet article comme arme argumentative contre l'injustice ? [...]
[...] Ainsi la France est successivement comparée à la Rome antique (lignes où la torture ne s'appliquait qu'aux esclaves qui n'étaient pas considérés comme des hommes, (argument censé excuser la torture dans ce cas), à l'Angleterre où la question a été abolie (lignes 16 à 18) et à la Russie où Catherine II vient d'abolir la torture également. La France apparaît donc comme rétrograde ou plutôt archaïque : elle semble conserver des pratiques antiques, relevant d'une époque où l'idée d'humanité n'avait pas l'importance et l'extension qu'elle a au XVIII° siècle (puisque les esclaves en étaient exclus). La structure des lignes 24-25 « Ce n'est pas dans ( . c'est dans ( . ) » donne une affirmation appuyée par l'argument historique « le XVIIIème siècle ». [...]
[...] Mais Voltaire rejette une argumentation ennuyeuse même sur un sujet aussi affligeant. C'est pourquoi il recourt à la saveur de son ironie pour plaire au lecteur, de manière à mieux le persuader de l'évidence de ce qu'il veut montrer. Ainsi, le deuxième paragraphe est-il particulièrement drôle. Jouant sur le contraste entre le côté effrayant de la torture et le cadre familier, quotidien, de l'anecdote (le magistrat retrouvant sa femme), il renforce encore ce contraste en employant un vocabulaire de douceur amoureuse : « Mon petit cœur » (lignes 14-15). [...]
[...] De plus, cette comparaison peut aussi laisser entendre le mépris de Voltaire pour ces juges, notables d'une petite ville de province (Abbeville) et non glorieux personnage de l'Antiquité romaine . D'autre part, Voltaire souligne la cruauté extrême des juges. L'expression « à petits feux » (ligne 26) suggère un certain plaisir à faire souffrir. La structure grammaticale « non seulement mais . encore . » (lignes 24 à 26) montre de même l'envie sadique d'ajoute sans cesse de nouvelles souffrances au condamné. [...]
[...] La disproportion entre le crime reproché et le châtiment infligé est flagrante et choquante. Mais Voltaire réserve pour la fin du quatrième paragraphe (lignes 26 à 28) le détail le pire, parce que le plus sordide et le plus déraisonnable : le chevalier a aussi été torturé afin de lui arracher des aveux sur un point absolument sans importance, un détail inutile (le nombre de fois où il a commis ces actes jugés irrévérencieux envers la religion). L'intolérance religieuse est une exigence méticuleuse, sourcilleuse, du respect de conventions, de codes : elle exige un strict respect des apparences plutôt qu'elle ne s'occupe de la foi profonde, des individus. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture