Un double constat s'impose à qui cherche à comprendre comment l'entreprise se situe entre morale et violence. D'une part, les valeurs (morales) semblent ne pas peser lourd face à l'exigence de création de valeur (pour les actionnaires) ; corruption, harcèlement moral, cadences infernales : l'entreprise est un monde souvent violent auquel la délinquance n'est pas étrangère. D'autre part, on assiste depuis la fin des années 1980 à une multiplication des discours sinon de mesures semblant témoigner d'une demande croissante d'éthique dans le monde de l'entreprise. On pourrait songer a priori que l'entreprise n'a à se préoccuper que de profit et d'efficacité : en quoi la violence et la morale sont-elles son affaire ?
[...] Il s'agit surtout de rassurer les clients avec des labels éthiques (spécifiant par exemple qu'aucun enfant n'a été employé à la création du produit), des standards de qualité ou de protection de l'environnement. Certaines entreprises choisissent d'inclure une clause de mieux-disant social dans leurs appels d'offres de sous-traitance. En entreprise, le souci d'éthique vient s'incarner dans de telles actions de contrôle, mais aussi dans une forme de compensation, notamment par le biais du mécénat. Le plus souvent, celui-ci est soigneusement orienté en accord avec la politique de communication de la marque. [...]
[...] La détérioration de l'atmosphère de travail induit une baisse d'efficacité, la gestion du conflit devient la principale préoccupation des salariés, les coûts liés à l'absentéisme augmentent Que la violence subie soit personnelle ou structurelle, c'est à l'entreprise de trouver une solution. La mission de l'entreprise est certes de créer de la valeur économique, mais les ultralibéraux eux-mêmes admettent la nécessité de processus régulateurs. L'entreprise est une vraie communauté ; elle a une fonction d'intégration à la société globale, d'où le traumatisme que peut engendrer un licenciement. [...]
[...] L'éthique en entreprise est-elle une nouvelle ère ou simplement une nouvelle vogue ? Il importe de bien distinguer l'ordre du discours de celui des faits. Si l'entreprise n'échappe pas à la violence du réel, les préoccupations morales ne devraient pas non plus lui être étrangères. De là à imaginer que l'entreprise puisse devenir la référence d'une nouvelle morale de vie, on peut douter ; mais il importe que l'éthique y fasse l'objet d'une réflexion critique, au-delà des actions de dame patronnesse. [...]
[...] L'entreprise peut devenir un système pervers lorsque l'atteinte d'objectifs justifie de détruire les individus ; les sociétés tendent à être complaisantes par rapport aux abus de certains individus, du moment que cela génère du profit sans trop de révolte. En 1998 toujours des femmes françaises déclaraient avoir été victimes de harcèlement sexuel. Dans le monde de l'entreprise, les agressions sexuelles deviennent un moyen d'humilier l'autre, de le traiter comme un objet pour finalement le détruire ; on parle également aujourd'hui de harcèlement moral. [...]
[...] Le monde du travail est aussi porteur d'une violence structurelle : au-delà de la violence dans l'entreprise, il existe une violence de l'entreprise. Ce n'est pas un hasard si l'on parle de maladies professionnelles : l'entreprise est aussi un lieu où l'on meurt, le travail, même de bureau, vient contraindre les corps. Le simple fait de répéter une même chose toute la journée est déjà une violence : dans Les Temps modernes, Chaplin incarne un ouvrier rendu fou par le travail à la chaine. [...]
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