Dans cet ouvrage André Orléan remet en cause la théorie de l'efficience des marchés financiers et lui oppose l'idée d'une «autoréférentialité des marchés» en s'appuyant sur les concepts élaborés par Keynes: les investisseurs «se soucient moins des fondamentaux de l'économie que de l'opinion des autres», anticiper les réactions du marché étant le meilleur moyen de réaliser des profits à court terme. L'auteur met ensuite en avant l'impact en retour de cette évolution de la finance sur l'économie et la société. André Orléan montre comment la finance est en train de transformer le lien social en généralisant «l'individualisme patrimonial», remettant ainsi en cause la souveraineté des Etats.
[...] Certes le développement de fonds d'épargne d'entreprise permettant aux employés de participer au capital de leur firme semble aller dans le sens du processus de financiarisation. Mais l'auteur ne manque pas de souligner l'opposition irréductible qui existe entre les intérêts salariaux et actionnariaux en prenant l'exemple du salarié ayant parfois avantage, en tant qu'actionnaire, à se licencier. L'auteur interroge la stabilité et l'efficacité de ce modèle d'organisation reposant uniquement sur le partage de la propriété du capital qui ferait converger (entendons vers l'intérêt des actionnaires) l'effort collectif et la coopération des employés. [...]
[...] L'auteur souhaite s'écarter de ce débat traditionnel pour aborder la question sous l'angle de l'instabilité de l'ordre financier libéralisé. La majeure partie du livre tend en effet à démontrer que loin de reposer sur une analyse des fondamentaux de l'économie, la soi-disant rationalité des marchés est en fait une rationalité mimétique Chacun cherche à anticiper les croyances des autres investisseurs afin de prévoir l'évolution des cours. Ainsi la logique financière se clôt sur elle-même et devient auto référentielle Dépourvu de référent extérieur, les marchés se laissent emportés par la dynamique mimétique qui débouche sur une succession de crises rapprochées (crise boursière de 1987, crise du SME de 1992 et de 1993, crise obligataire de 1994, crise du peso mexicain de 1994/1995, crise asiatique de 1997 Bien qu'il reconnaissent que la finance [se soit] dotée d'un outil efficace pour lutter contre les crises et leurs effets systémiques : le prêteur en dernier ressort (louant au passage l'habilité d'Alan Greenspan), André Orléan récuse la possibilité d'une régulation à long terme de ces déséquilibres par le seul jeu des interventions de banques centrales indépendantes. [...]
[...] L'auteur va même plus loin en interprétant ce processus d'individualisation patrimoniale comme une remise en cause de la souveraineté de l'Etat. L'indépendance des banques centrales, c'est-à-dire la dépolitisation de la monnaie est, selon lui, une victoire de la finance sur l'Etat en cela qu'elle marque (en particulier dans l'UE) la victoire de l'objectif anti-inflationniste, la dépréciation monétaire (ou inflation) étant l'ennemi du créancier. L'Etat a abandonné une partie de sa souveraineté en renonçant à la conduite de la politique monétaire alors que la finance poursuit son travail de sape André Orléan insiste sur l' incomplétude de l'individualisme patrimonial qui se révèle incapable de s'autoréguler et de permettre un développement stable de l'accumulation. [...]
[...] L'auteur ne force-t-il pas le trait ? Le tableau inquiétant qu'il nous présente n'est-il pas quelque peu exagéré ? Certes lui-même admet en conclusion que ce vaste mouvement de déliquescence de la solidarité citoyenne au profit d'un individualisme patrimonial profondément déstabilisateur pour l'économie est encore loin d'être achevé et que persistent des différences notoires entre les pays. A l'opposé de ce profond pessimisme, André Orléan conclue de manière très (et sans doute excessivement) optimiste : des fonds de pension animés par les syndicats ou les citoyens soucieux d'éthique ne pourraient-ils influer sur les objectifs et l'horizon de cette économie financiarisée ? [...]
[...] La généralisation du statut d'actionnaire minoritaire conduit en effet à considérer l'individu d'abord comme un propriétaire dont l'objectif premier est de défendre la valeur de ses titres. Selon l'auteur, ce statut d'actionnaire minoritaire rentre en concurrence avec celui de citoyen disposant de droits sociaux liés à cette qualité : c'est un nouveau pacte social que propose la finance La question des retraites illustre tout particulièrement cette évolution. Le choix d'un système par répartition ou par capitalisation est un révélateur de la confiance des individus dans l'Etat ou le marché. [...]
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