S’il existe de nombreux écrits, la tragédie possède tout de même quelques caractéristiques lui étant propres, lesquelles ne peuvent être confondues avec un quelconque autre genre littéraire. Dès l’Antiquité, les tragédies virent leur centre d’intérêt converger vers des thématiques telles que la religion, la mythologie, mais aussi et surtout, le culte des Dieux. Plusieurs dramaturges s’approprièrent progressivement ce genre littéraire. Parmi eux, on citera des auteurs tels que Sophocle, Eschyle, ou bien encore Euripide. Plus tard se firent connaître d’autres dramaturges tels que Jean Racine, mais également Jean Anouilh ou Corneille. Si la tragédie a pour caractéristique de traiter l’origine du culte des dieux, celle-ci s’intéresse également à de nobles familles divines, souvent emprises par une malédiction familiale, conduisant l’héroïne de la tragédie à une mort inéluctable. On retrouve ainsi des thématiques communes allant de la trahison au respect des lois divines et politiques, à la révolte, la résistance, le mensonge, ou bien également à la fatalité. Enfin, la tragédie se veut d’éveiller la catharsis, à savoir, « la purgation des passions ». L’interlocuteur - ou le spectateur - se verra immédiatement porté au coeur même de la fatalité à laquelle est sujet le personnage. En s’immergeant de la sorte, le spectateur se verra libéré de toutes passions. On parlera de « purgation des passions », la tragédie évoquant un sentiment de « terreur » et de « pitié » chez celui-ci, et le poussant à révoquer toutes passions interdites.

Antigone et Phèdre dans l'Antiquité

En termes de tragédies, on pourrait ainsi faire le choix de s’intéresser à deux tragédies, à première vue très différentes, mais en réalité assez communes l’une à l’autre, à savoir, l’histoire de la jeune Antigone, et celle de Phèdre. Si l’intrigue de ces pièces reste sensiblement la même au fil des années, de nombreux éléments viennent en revanche altérer leur centre d’intérêt initial, les auteurs ayant écrit et ré-écrit ces pièces n’appartenant tous, pas au même siècle. Il serait ainsi intéressant de voir en quoi ces deux pièces, pourtant très éloignées au premier abord, sont en réalité très communes, mais aussi et surtout comment ont-elles évoluées, de l’an 442 avant J.C, aux années 1940.
Si l’on s’intéresse à ces deux tragédies, toutes deux écrites à des siècles différents, mais également reprises par de nombreux dramaturges et auteurs, il reste possible de s’apercevoir rapidement de leurs caractéristiques communes.

Antigone, personnage mythique et emblématique de l’Antiquité, fut tout d’abord introduite dans la célèbre pièce de Sophocle en l’an 442 avant Jesus-Christ. Appartenant à la famille des Labdacides, famille connue comme étant maudite des Dieux, Antigone se voit inéluctablement conduite vers la mort, tel étant son souhait initial. La pièce de Sophocle traite davantage les thématiques tels que les lois et punitions divines, leur opposition aux phénomènes de société, mais également le pouvoir divin. Au travers de la pièce, on peut en effet voir une jeune femme éprise par un amour impossible, celle-ci ayant été punie des Dieux. Son frère ayant été abattu lors d’une guerre entreprise de son plein gré contre Étéocle, Antigone décide alors, par respect et fidélité pour sa famille, de l’enterrer comme il se doit, bien que son oncle, le roi Créon, le lui ait interdit. Si Créon tente vainement de taire cette histoire, Antigone, elle, ne se voit plus que vouée à la mort, celle-ci ayant commis un pêché. Après avoir annoncé à son fiancé Hémon qu’elle ne pourrait l’épouser, Antigone décide de se donner la mort et se pend dans une caverne. Son fiancé en fera de même à la découverte de sa mort. Chez Sophocle, Antigone voit son destin régit par la loi divine, mais également par une certaine « loi intérieure », celle-ci se donnant la mort sans réelle raison valable. Éprise d’une certaine innocence ainsi que d’un besoin insatiable de rester fidèle à ses principes, Antigone ne sait d’ailleurs plus pourquoi elle cherche tant à mourir, et prononce par ailleurs les mots « Je ne sais plus pourquoi je meurs ».

Phèdre, célèbre fille du roi Minos et de Pasiphaé, et donc par ailleurs, demi-soeur du Minotaure, est également dépeinte au travers d’une tragédie en cinq actes écrite par le célèbre dramaturge, Jean Racine, en l’an 1677. Si cette tragédie fut écrite de nombreux siècles après la version d’Antigone de Sophocle, Phèdre appartient elle-aussi à une famille ayant été maudite par les Dieux, celle des Atrides. Tout comme Antigone, son destin est ainsi scellé. Rien ni personne ne pourra modifier sa destinée, aussi tragique soit-elle. Phèdre, épouse de Thésée, le roi d’Athènes, est en réalité éperdument amoureuse d’Hippolyte, lui-même en proie face à un amour impossible avec Aricie, « ennemie de son père ». Phèdre ayant un certain devoir de loyauté envers son mari, et par ailleurs le roi, mais étant également fidèle et sincère auprès de celui-ci, avoue tout d’abord son amour à Hippolyte, avant même de l’annoncer au Roi en personne. Phèdre, n’ayant pas respecté les lois divines et ayant également trahis son mari, celle-ci va finalement se donner la mort, rongée par la culpabilité de ses passions interdites.

Les années 1940

Les années 1940 - durant de la Seconde Guerre Mondiale - virent un tout nouveau genre de pièces tragiques apparaître. Les thèmes apparent sont vraisemblablement liés au contexte géopolitique et aux tensions actuelles de ces années-là. Une certaine modernité se fait observer à travers ces écrits. Si l’on prend l’exemple d’Antigone, pièce ré-écrite par le dramaturge Jean Anouilh, cette tragédie ne ressemble, malgré l’intrigue initiale, en rien à la pièce originale écrite par Sophocle des siècles auparavant. Anouilh décide au contraire de « désacraliser le mythe initial » de la pièce. Si Antigone se devait auparavant de rester loyale envers les Dieux, et ne voyait l’origine de ses actions que par ceux-ci, la fille d’Oedipe n’agit à présent que par, et pour sa propre personne. Comme elle peut d’ailleurs le préciser, celle-ci « n’agit pas pour les Dieux », mais pour « elle-même ». L’enterrement de son frère restait alors une étape importante pour sa personne, celle-ci se devant, par respect pour sa dépouille, d’agir de la sorte, mais sa mort est ici voulue, désirée et acceptée. On ne ressent ainsi plus cette pression divine liée à la malédiction dont les Labdacides peuvent être en proie. Il en va tout de même de soi que la fatalité reste présente et inéluctable. L’origine de la mort d’Antigone n’a ici aucun intérêt, d’autant plus qu’elle ne décide, non pas de se donner la mort pour des raisons divines ou liées à ses croyances, mais bien pour préserver la liberté qu’elle possède, et accomplir ce dont elle a réellement envie, elle. Comme on peut le lire dans le récit d’Anouilh, Antigone rajoute même « Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas ! », ce qui démontre parfaitement son engouement pour une grande liberté personnelle.
Si la forme littéraire et ses caractéristiques lui étant propres restent sensiblement les mêmes au travers des siècles et en fonction des auteurs, les lieux, l’intrigue et les personnages ayant été préservés, de nombreux éléments viennent tout de même marquer une certaine modernité à la pièce. En plus des éléments et objets présents étant pourtant apparus dès les XiIX et XXème siècles (téléphone, maquillage, etc), la tragédie fut également adaptée au contexte socio-politique actuel, et mêle davantage de thématiques liées à la rébellion, la résistance intérieure, la colère ou la peur, thématiques très appréciées par les spectateurs de ces temps là. La tragédie classique est ainsi éliminée au profit d’une tragédie plus moderne, plus d’actualité.