Voyons les notions mises en branle dans ce sujet. La liberté se définit à priori, comme une absence de contrainte et donc signifierait « celui qui fait ce qu'il veut ». Elle s'apparente à l'idée de ne pas être prisonnier de son corps au niveau biologique tandis qu'elle peut se revêtir de spontanéité en obéissant à ses passions. Ou encore, la possibilité de choisir en pleine conscience. Elle se résume donc dans son entièreté par la réalisation volontaire de l'action qui s'exprime par un choix personnel. En ce qui concerne la notion de la maîtrise de soi, elle signifie la capacité d'appréhender chacun de ses gestes, de les contrôler et donc de se dominer. Se maîtriser soi-même c'est entraver ses émotions, ses pulsions, ses actions selon des normes. Peut-on concevoir que pour être libre, il faut l'entraver en se contrôlant ? Cela n'est-il pas contradictoire de se contenir soi, ses émotions et ses actions pour être libre ?
Pour répondre à cette question, nous allons tout d'abord voir pourquoi de prime d'abord la liberté ne rime pas avec contrainte. Puis que la liberté n'est pas infinie qui induit par conséquence la maîtrise de soi pour atteindre une liberté vraie.
I. La liberté s'oppose à la contrainte
Dans un premier temps, par son étymologie, la liberté s'oppose à l'asservissement. C'est disposer librement de sa personne et de ses biens sans être soumis par des contraintes extérieures qu'elles soient au niveau physique, moral dans un contexte politique et social, ou métaphysique comme « exercice de la volonté et capacité d'être auteur de ses choix ». Nous assimilons que la liberté est la possibilité de faire tout ce que l'on veut sans être limité de manière naturelle, conventionnelle ou par la volonté d'autrui. Contrairement à l'esclave qui n'est pas libre et dont ses faits et gestes dépendent de la volonté de son maître.
En effet, selon Thomas Hobbes dans son ouvrage Léviathan, « un homme libre est celui qui, s'agissant des choses que sa force et son intelligence lui permettent de faire, n'est pas empêché de faire celles qu'il a la volonté de faire ». Ainsi la liberté se détermine par une absence d'obstacles pour réaliser ce que souhaite l'individu. De fait, personne n'empêche un autre individu de faire ce que l'on a le pouvoir de faire. Cela correspond à la liberté de mouvement ou d'agir. De ce fait, la liberté souhaite s'absoudre de toutes contraintes, de ne suivre que ce que l'individu souhaite faire, sans être contrôlé par une force extérieure, mais pas nécessairement un contrôle non plus par soi-même qui serait donc une contrainte intérieure.
Mais pouvons-nous réellement être libres en suivant seulement nos désirs, nos pulsions ? Pouvons-nous considérer qu'un enfant qui allume un ordinateur « sans savoir s'en servir » est libre ?
II. La liberté n'est pas infinie
Cependant, l'environnement dans lequel nous nous mouvons est déterminé par des causalités naturelles comme le soleil se lève forcément à l'est et se couche à l'ouest. Les phénomènes naturels sont régis par « des lois nécessaires », soit des contraintes naturelles comme le souligne Auguste Comte. De plus, le déterminisme peut aussi être social ou psychologique qui se traduit par le fait que les actions de l'homme sont des effets de causes inconscientes. La liberté d'un individu est déterminée par sa pensée qui est elle-même déterminée par « des conditions matérielles d'existence », soit la société. Ce qui rend l'homme moins libre.
Pour Spinoza dans l'Éthique, « les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés ». Ainsi pour lui la conception commune de la liberté est erronée, voire illusoire. En effet, comment considérer que nous sommes libres si nous ignorons ce qui nous détermine à agir ? Spinoza donne un exemple très parlant de la pierre qui tombe et qui, si elle était un être de conscience, se croirait libre de faire cette action et non de la subir. L'homme appartient à la nature, lui et sa liberté en sont dépendants. De la nature vient justement les désirs et les pulsions qui, sans compréhension de ces dernières, ne nous rend pas libres, mais sous leur joug.
De plus, la liberté individuelle de chacun est limitée par celle d'autrui : « la liberté des uns s'arrête là où commence celles des autres ». La liberté est donc entravée comme condition nécessaire pour vivre avec les autres. Si elle était illimitée, elle détruirait celle d'autrui et « annihilerait donc la liberté ». Les lois sont la condition nécessaire à la vie en société et qui permettent de renforcer la liberté par le cadre qu'elles posent. C'est permettre la coexistence d'une « pluralité de libertés individuelles ». C'est la liberté sociale qui supplante la liberté naturelle pour répondre à notre essence d'être social.
III. La maîtrise de soi est le chemin de la vraie liberté
Ainsi, la liberté n'est pas pleine et entière, mais elle peut être effective. En effet, même si la société est régie par des déterminismes et la liberté d'autrui qui entrave notre propre liberté, il est possible de rester libre dans l'action, car la restriction ne veut pas nécessairement dire opposition. C'est un cadre qui lui donne des limites.
De plus si nous revenons à la thèse de Spinoza, la liberté peut exister si nous nous connaissons et donc si nous comprenons nos agissements en lien avec notre personnalité profonde. Ceci rejoint celle de Bergson où pour lui la liberté s'inscrit dans l'acte libre vers une adhésion de soi-même. « Bref, nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'oeuvre et l'artiste » dans son Essai sur les données immédiates de la conscience. C'est donc pour lui exprimer sa personnalité, son soi profond dans l'expression de son acte. Par conséquent, en nous connaissant nous nous maîtrisons et donc nous pouvons choisir à travers le raisonnement de suivre ou non nos désirs et nos pulsions.
Pour Descartes justement, la liberté se trouve dans le choix, soit le libre arbitre et les degrés de liberté : « la liberté suppose la maîtrise de soi, la réflexion, en un mot : la raison ». Elle s'éprouve donc comme choix, soit de décider une chose plutôt qu'une autre. Il le résume en « la liberté d'indifférence est le plus bas degré de la liberté, car le choix n'est motivé par aucune raison réfléchie ». Dans ses Méditations physiques, il la décrit ainsi : « Cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt apparaître un défaut dans la connaissance, qu'une perfection dans la volonté ; car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent ». Il met ainsi en avant que c'est le pouvoir de volonté qui permet à la liberté d'être, soit la possibilité de choisir l'exact contraire de ce que la raison nous invite à faire. Nos choix doivent s'accompagner de la connaissance du bien ou de la vérité pour être libres en étant la cause première de ces actions.
En conclusion, être libre ce n'est pas faire ce que l'on veut comme on veut, mais savoir interagir avec nos contraintes extérieures, notre personnalité intérieure et autrui pour utiliser notre raison, forme de maîtrise de soi pour choisir et donc être libre. La liberté est encadrée, mais pas entravée pour exister et s'épanouir à travers les déterminismes et la vie en société qui pose le cadre. La liberté se trouve dans le choix, la connaissance de soi et de ce qui nous entoure. C'est donc le pouvoir de la volonté et de choisir l'exact contraire de ce que la raison nous invite à faire, que la liberté se touche et s'existe. Un homme libre est un homme qui choisit en toute connaissance de cause une alternative plutôt qu'une autre en son âme et conscience, sans être contraint par ses pulsions ou ses désirs. Il est donc maître de soi pour gagner une vraie liberté pleine et entière qui ne pourrait l'être sans condition nécessaire à son existence.