I. Définition et construction
La métaphore se définit par son étymologie, transport, en grec, de « méta », changement et « pherein », porter, transporter ; elle a déjà le sens de « changement de catégorie » chez Aristote, c’est-à-dire un « passage de l’étage des mots à l’étage des choses, (…) un échange de dénomination »(1). Ce procédé est le transfert du sens d’un mot à un autre sens qui convient par une ressemblance implicite, laquelle est donnée à interpréter par le locuteur et à être interprétée par l’interlocuteur.
Par exemple, évoquer les flammes de la passion, c’est donner à faire le lien entre l’amour et le feu.
Le lien est établi par une analogie sous-entendue que l’interlocuteur est chargé de reconnaître et c’est l’association d’éléments communs supposés qui est à comprendre, autrement dit : la métaphore repose sur une analogie sous-entendue.
Cette figure concerne un mot, mais aussi, fréquemment, un syntagme entier (mettre les pendules à l’heure). Toutes les catégories (noms, verbes, adjectifs, adverbes de manière) et toutes les fonctions peuvent porter un sens métaphorique.
A. Les métaphores nominales (2)
- en fonction de sujet : le référent est de préférence déjà évoqué dans l’énonciation, sinon la métaphore risque de rester énigmatique. Tiens, un martien passe sous nos fenêtres (une personne bizarre)
- en fonction de complément essentiel (COD ou COI) : Pour rien au monde je ne voudrais habiter ce clapier (cet immeuble)
- en fonction d’attribut (du sujet ou de l’objet) : L’ironie est un bouclier
B. Les métaphores verbales (2)
Les prix s’envolent – Je buvais ton souffle (Baudelaire) – Je titubais dans la guerre (Céline)
C. Les métaphores adjectivales (2)
a) dans les phrases attributives : Le Rhin est ivre où les vignes se mirent (Apollinaire)
b) comme épithètes dans un GN : un silence liquide (Bernanos)
c) Les métaphores adverbiales (rares) : Il se mit à écrire convulsivement (Céline)
D. La continuité métaphorique
Les différents aspects d’une même analogie peuvent se déployer dans plusieurs segments de l’énoncé, sur une phrase ou plusieurs phrases successives, ce qui met en présence d’une métaphore filée : C’est tout ce que la pelle de ma mémoire parvient à déterrer. (J. Roubaud)
La coexistence rapprochée de plusieurs métaphores sans rapport entre elles produit un effet discordant à visée comique : Le char de l’État navigue sur un volcan. (Henry Monnier, Joseph Prudhomme) (2)
II. Figure de l’analogie, donc figure du déplacement
A. L’analogie est la condition de bonnes métaphores
« Bien faire des métaphores, c’est bien apercevoir le semblable », on devra donc observer « le juste rapport des choses », avertit Aristote avec comme exemple Achille est un lion, « C’est une métaphore, écrit-il, parce que tous les deux sont courageux » ce qui est crucial pour distinguer la métaphore d’une dénomination impropre (1). La métaphore rapproche des référents par l’opération d’une comparaison qui s’établit dans l’esprit du locuteur, mais par un coup d’audace : il faut pouvoir établir une ou des ressemblances entre le métaphorisé et le métaphorisant, mais les réalités ainsi rapprochées sont communément perçues comme franchement distantes l’une de l’autre.
B. Figure concentrée, trope de choc
Cette figure condensée en un seul terme est propice aux effets de surprise, avec une vigueur d’autant plus forte si le rapprochement semble insensé. (4)
C’est qu’il me grifferait, ton tigre ! (à propos d’un chat)
Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur. (Jules Renard, Le papillon)
C’est la première limite à la puissance d’évocation de cette figure du déplacement. Max Müller résume la métaphore à une pure « substitution d’un mot pour un autre », ce qui risque de remettre en cause le principe d’analogie si le rapprochement entre le métaphorisé et le métaphorisant n’est pas pertinent.
L’avoine siffle (Verlaine)
Le silence a plongé son glaive (Pichette)
Quels vêtements d’indulgence ! (Eluard)
C. Figure populaire, trope trop usé
Au contraire, de nombreuses métaphores sont devenues si familières, si usagées que le glissement de sens en est devenu presque insensible (les pieds de la chaise, les bras d’un fauteuil), sauf parfois à reconstituer l’histoire du mot (par exemple le mot travail a connu un déplacement de sens métaphorique où l’instrument de torture appelé tripalium est le plus souvent oublié), ainsi a été fortement sollicité le coeur, mot très fréquent où ont opéré des glissements de sens répétés entre l’organe palpitant et les états d’esprit les plus divers (amour, courage, énergie, mémoire ...)
dire ce qu’on a sur le coeur
de gaieté de coeur
à contre-coeur
Rodrigue, as-tu du coeur ? (Corneille)
dureté de coeur
par coeur
Ces métaphores, tropes trop usés, ont perdu le pouvoir de surprise et évoquent de plus en plus immédiatement le thème jusqu’à être devenues des clichés, des catachrèses (métaphores affaiblies).
Cependant, même l’usure a des degrés et un contexte énonciatif peut redonner vie à un déplacement devenu banal pour le revitaliser : ainsi Baudelaire qui s’emploie à tuer le Temps, qui a la vie si dure.
Ce trope du déplacement éveille et stimule l’activité imaginative et interprétative chez le lecteur, invite à transgresser, littéralement « passer à travers les limites » au cours du transport de sens, puisque le passage d’un sens à l’autre s’opère par l’interprétation trouvée dans son esprit, ce qui en fait le plus élaboré des procédés.
Sources :
1. La Poétique, XXI d’Aristote citée dans l’article du CAIRN, Metaphora et Comparaison selon Aristote, d’Irène Tamba-Mecz et Paul Veyne, 1979
2. Grammaire méthodique du Français, de Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat et René Rioul, 1994
3. Gradus, les procédés littéraires, de Bernard Dupriez, 1984
4. Les procédés du discours, pratique de la rhétorique, de Marc Boutet de Monvel, 1984
5. Langage et versification d’après l’oeuvre de Paul Valéry, de Pierre Guiraud, 1953
6. Dictionnaire encyclopédique de psychologie, sous la direction de Norbert Sillamy, 1980
7. Dictionnaire Historique de la langue française d’Alain Rey, ed. 2016