Pour répondre à cette interrogation, nous envisagerons que le propre de l'inconscient est d'être méconnu. Ensuite, nous nuancerons en expliquant que l'inconscient peut être un outil de connaissance pour soi et le groupe humain. Finalement, nous conclurons.
I. L'inconscient méconnu
A. L'inconscient : l'angle mort de la conscience
L'inconscient est, par définition, méconnu : ce mot est composé du préfixe latin -in signifiant « sans », de « cum » (avec) et de « scio » (le savoir). L'inconscient est donc ce qu'on ne peut pas savoir. On estime que la plupart des animaux ne sont dotés que d'une conscience préréflexive, c'est-à-dire qu'ils ne savent pas qu'ils pensent. Ils vivent sans penser rétrospectivement à leurs actes, et vivent une vie impersonnelle. Leurs seuls réflexes sont primitifs, mais ils ne sauraient formuler une pensée ou créer des choses pour modifier leur environnement. Il leur est d'ailleurs impossible de formuler leurs idées via un véritable langage, les seules informations qu'ils partagent entre eux étant communiquées par des cris simples et dénués de suffisamment de nuances pour exprimer des idées complexes. Quant aux humains, on considère qu'ils possèdent une conscience réflexive, c'est-à-dire qu'ils sont conscients qu'ils pensent, et dès lors, ils sont conscients d'eux-mêmes. C'est l'ek-sistere (existence) de Sartre : les Hommes se projettent hors d'eux-mêmes pour s'observer, et comprendre leurs actions ou même les juger. C'est aussi ce que Leibniz nomme l'aperception : « la conscience, ou la connaissance réflexive de cet état interne », qui est « quelque chose n'est pas donné à tous âmes, ni en tout temps, à une âme donnée », entendons que c'est par exemple inaccessible au reste de la faune. En comparaison, les animaux n'ont accès qu'à la subsistance, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent que vivre en eux-mêmes, sans pouvoir s'observer et s'analyser à l'instar des Hommes. Les humains devraient donc, par leur conscience réflexive, être dénués d'inconscient, car c'est ce qui les différencie des animaux. Mais ce n'est pas aussi simple : les hommes sont également des animaux. Ils possèdent alors une part d'inconscient, qui se traduit d'abord par leurs limites biologiques, notamment en matière de perception : l'Homme est limité par ses sens. Par exemple, il ne peut percevoir que ce qui se trouve entre les ultraviolets et les infrarouges, et si la science ne l'avait pas observé, ces notions n'existeraient même pas dans la conscience humaine, conscience qui comble le manque perceptif de l'Homme. L'expérience de Leibniz le montre : tout est perçu par les sens, mais tout n'atteint pas la conscience. Les détails formant un plus grand stimulus nous échappent la plupart du temps, et c'est cette lacune de la conscience que Leibniz appelle l'inconscient.
B. L'inconscient privant de soi-même
L'inconscient, n'est-ce qu'une lacune de la conscience ? Non : Freud le théorise comme la perte de contrôle de soi, une part de soi qui n'est pas vraiment soi. Autrement dit, via cette citation de Freud : « Le Moi n'est pas maître en sa propre maison ». L'inconscient est une partie de la psyché humaine et d'après lui, elle est quasiment indépendante de la conscience. Les désirs et interdits qui s'y trouvent sont à peine accessibles à la conscience. Y accéder sans méthode est tout bonnement impossible, sans compter qu'il se cache : à travers les rêves notamment, l'inconscient ne se découvre jamais. Il se cache derrière un signifiant, soit une image symbolique, pour camoufler le signifier, soit le véritable objet de la pensée. En fait, l'inconscient est non seulement ce qui échappe à la conscience, mais aussi une part indépendante de la psyché sur laquelle nous n'avons aucun réel contrôle, jusqu'à nos aspirations profondes. D'ailleurs, Leibniz et Freud se rejoignent dans leurs théorisations des appétions (volontés inconscientes) pour l'un, et du désir généré par le Ça pour l'autre. On peut envisager une théorie déterministe à ce sujet : "Les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent" (Spinoza). Autrement dit, ils voient les conséquences de leur désir/ de leur volonté, mais sont incapables de les contrôler ou de les expliquer, faute de mémoire et sûrement de perception.
L'inconscient a priori est donc une source de méconnaissance et de paradoxes, qui enferment l'Homme dans une incompréhension profonde de ce qu'il est vraiment. Mais est-ce totalement le cas ?
II. Se comprendre et comprendre l'humain via l'inconscient
A. Freud : les manifestations de l'inconscient et son rôle individuel
L'inconscient semble priver l'Homme de lui-même, sans qu'il puisse accéder à une grande partie de lui, qui influence pourtant ses actions et désirs. Mais est-il vraiment si inaccessible et illisible ? Freud a mis au point plusieurs méthodes pour détecter les manifestations de l'inconscient : il commença par l'hypnose qui, en mettant le sujet dans un état de conscience modifié, distrayait la conscience et permettait d'accéder à l'inconscient. Le problème de cette méthode, c'est que le sujet ne se rappelait généralement rien qui ait été dit pendant la séance. Il envisagea alors d'autres méthodes, comme la perception de lapsus, qui sont des manifestations verbales involontaires étant le fruit d'un désir inconscient, à travers une paronomase ou une homophonie. Les actes manqués sont également très explicites : ils renseignent sur ce qu'on désire vraiment faire ou ne pas faire. Finalement, sa méthode favorite fut d'analyser les rêves de ses patients pour comprendre leurs pulsions. Mais la méthode n'est pas simple : en effet, l'inconscient cache le signifié sous le signifiant. Pour arriver à le lire, il faut établir avec le sujet une interprétation du signifiant pour accéder au signifié. C'est la méthode la plus fiable pour accéder à l'inconscient selon Freud, parce que pendant le sommeil, le Surmoi, sorte de police de la psyché, est bien moins virulent et permet au Ça, soit les passions, de se manifester plus pleinement. L'inconscient, à travers les rêves et les manifestations du Ça, après avoir été déchiffré, permet à l'Homme de mieux se connaître parce qu'il envisage mieux ses aspirations et désirs. Ceci peut l'aider à ne plus refouler ses désirs lorsqu'il est éveillé et dominé par son Surmoi, mais à plutôt les accepter et les sublimer, ce qui signifie qu'il canalise ses désirs à travers une activité plus noble, comme quelqu'un ayant besoin de reconnaissance travaillerait dans une association caritative.
B. Jung : le rôle social de l'inconscient (inconscient collectif)
L'inconscient ne donne d'ailleurs pas seulement d'informations que sur l'individu : Jung reprocha à Freud d'avoir été trop restreint dans sa définition. Lui envisage un inconscient beaucoup plus grand : l'inconscient collectif. Il se manifeste au travers de la connaissance des archétypes, notamment par le prisme de la religion, ou tout simplement des images symboliques que l'on partage, comme l'archétype de la mère (que l'on rapporte souvent à l'image de Marie, mère de Dieu). Ces archétypes sont quasiment les mêmes en fonction des cultures, ce qui signifie une chose pour Jung : certaines images, certaines peurs, certaines aspirations sont communes à tous les humains, parce qu'ils partagent la même nature. C'est à travers cela qu'il a d'ailleurs théorisé la personnalité, qui ne serait qu'un héritage de ces archétypes, des rôles utiles et ancestraux dans les sociétés humaines. En fait pour Jung, l'inconscient, c'est ce qui permet de distinguer la nature humaine, ce qui régit les pensées les plus primitives des Hommes, ce qui permet de mieux se rassembler entre eux et de mieux se connaître individuellement.
Nous avons vu que l'inconscient était privatif dans une certaine mesure parce que son accès était extrêmement restreint. En effet, une part d'ombre aussi tentaculaire et aussi inaccessible, conditionnant cependant la moindre de nos pensées et le moindre de nos actes, est forcément une contrainte pour l'humain. C'est un paradoxe immense puisque le cerveau a horreur des parts d'ombre, du doute, ce qui nous poussa à de nombreuses reprises à interpréter tout ce que nous ne savions pas (par exemple, à imaginer un Dieu créateur qui aurait tout conçu, pour pallier notre manque de connaissances scientifiques). Et pourtant, l'inconscient est notre véritable Dieu, c‘est-à-dire celui qui crée tout et qui peut tout justifier. Nous avons également admis que le rôle était essentiel dans la psyché et qu'il était possible, via plusieurs méthodes, d'y accéder pour obtenir des connaissances sur nous-mêmes et notre espèce. Freud a été le premier à établir des méthodes pour nous permettre d'y accéder, parce que la nature de l'inconscient le pousse à rester camouflé, et a permis l'exploitation de cet inconscient qui a tant à dire de nous. Mais si l'inconscient est si riche et nous dirige tant, est-ce à dire que nous ne sommes jamais plus nous-mêmes qu'à travers ce qu'on ignore ?