Dans son poème intitulé « Cors de chasse », tiré de l’ouvrage Alcools, Guillaume Apollinaire fait le choix à travers ses vers d’offrir aux lecteurs un texte lyrique et poétique qui va lui permettre de s’ouvrir et de se libérer d’une des plus grandes souffrances pouvant être vécues par un être humain, celle créée par le sentiment à la fois envié et terrifiant qu’est celui de l’amour. En effet, le poème « Cors de chasse » va être une jolie commémoration de l’amour, des sentiments et des souvenirs du poète Guillaume Apollinaire vis-à-vis de sa relation passionnelle avec une jeune femme dénommée Marie Laurencin.
Libération d'une déception amoureuse
En effet, dès le début de son poème, le lecteur comprend que l’auteur cherche à s’épancher et à se libérer d’une déception amoureuse, comme le démontre le premier vers « notre histoire est noble et tragique » : le fait d’utiliser la figure stylistique de l’oxymore n’est pas anodin : l’histoire d’amour d’Apollinaire a certes été belle, réelle, méritée et réciproque (réciprocité qui est détenue par le pronom personnelle possessif « notre »), elle n’en finit pas pour le moins tragique suite à la rupture. Ce sentiment de tristesse et de fin malchanceuse est par ailleurs repris à plusieurs reprises dans les vers suivants (au second vers, nous pouvons retrouver le terme « tyran » et, au troisième vers, le terme de « drame »). Ce sentiment tragique persiste d’ailleurs jusqu’à la fin du poème, comme le démontre le choix de l’adjectif qualificatif « pathétique » dans le dernier vers du poème.
Ressentiment
Le lecteur est cependant amené inconsciemment à se questionner sur l’histoire d’amour du poète : bien que noble, il semblerait que l’auteur ressente un certain ressentiment vis-à-vis de sa compagne, impression qui est amenée dès le second vers du poème, avec l’utilisation du terme « masque ». En effet, le mot « masque » peut renvoyer à deux définitions sur lesquelles il est intéressant de s’interroger : premièrement, ce terme fait immédiatement penser à un objet que l’on a d’abord porté dans les représentations théâtrales, notamment lors des mises en scène de tragédies, puis lors de carnavals ou de soirées déguisées dans lesquelles les individus ne souhaitent pas être reconnus. Cela amène à se demander si la partenaire d’Apollinaire n’aurait pas chercher à duper son amoureux épris en dissimulant sa réelle personnalité ou sa réelle situation personnelle. Cependant, lorsque l’on s’attarde sur l’historique grec du terme « tyran », qui est mis en parallèle dans le poème de Guillaume Apollinaire avec celui de masque, il vient alors à l’esprit le fait que le masque pourrait ce qui a permis à la dulcinée du poète de ne pas se montrer trop possessive et dominatrice, du moins au départ de la relation, ce qui, malgré l’apparence d’un mensonge, s’avère un acte d’amour, ne souhaitant pas décevoir ou effrayer l’homme aimé. Une troisième signification pourrait cependant être proposée à l’interprétation du lecteur : en effet, le nom masculin « masque » peut également amené l’idée de quelque chose d’impassible et d’immobile, revenant au sentiment initial voulu par le poète, celui de la destinée tragique d’une histoire : cela fait alors penser que l’auteur désire exprimer à ses lecteurs le fait que malgré qu’une histoire d’amour soit belle et intense, il y a toujours, notamment lorsque c’est une histoire noble, un évènement tragique amenant à la fin de cette passion amoureuse.
Renversement de situation
Par ailleurs, lors de la lecture du second quintile, un autre sentiment vient envahir le lecteur. En effet, l’auteur va tourner autrement ses vers pour donner une impression jusqu’alors inexistante, l’impression de malaise et d’étrangeté d’une histoire d’amour. En effet, l’auteur amène sans prêter gare l’histoire d’amour d’une tierce personne, Thomas de Quincy, un écrivain britannique, avec qui, pour autant, il ne semble y avoir aucune similitude entre les histoires vécues par les deux hommes. L’évocation de cet écrivain survient de manière tellement inattendue et sans lien logique grammatical et orthographique, que cela engendre l’effet d’un coup de théâtre dans le poème. Ce retournement de protagoniste est si manifeste, notamment du fait que dans le premier couplet du poème, Apollinaire parle à la première personne (utilisation du pronom « notre »), il paraît en dehors de la scène qu’il décrit dans les couplets suivants (la narration devient en effet à partir du second quintile une narration à la troisième personne). Ce reversement de situation peut être alors perçu par le lecteur comme l’envie de l’auteur de passer d’une histoire amoureuse tragique à une histoire laissant supposer l’espoir d’un nouvel amour, vers une autre personne, voir vers une personne d’un sexe différent, bien que nous ne puissions être certains, dans le premier quintile, que l’amour perdu d’Apollinaire soit en destination d’une femme.
Ce changement d’humeur et d’articulation des pensées et propos de l’auteur peuvent d’autre part être compris lorsque le lecteur a en tête quelques éléments de connaissance sur le caractère et le tempérament qui était celui du poète : en effet, ce dernier a très rapidement été décrit comme étant un auteur précurseur du mouvement littéraire du surréalisme : alors qu’au départ, le texte de l’auteur semble commun à tous les individus, qui pourraient vivre le même sentiment de chagrin que le poète, avec la fin de son poème, Apollinaire va ouvrir une porte sur l’impossible, l’inconcevable et pourtant ce qui permet aux Hommes de rêver : le fait que la vie soit couverte d’un nombre incalculable d’inattendus et que de nouvelles surprises peuvent arriver, dans un poème dans lequel nous ne nous attendons pas à la fin ou dans la vie qui nous offre une panoplie de surprises et de nouvelles possibilités et d’aventures. Cette surprise est d’autant plus marquée lorsque grâce à une attention portée sur le texte, il vient apparaître le passage d’une simple et banale histoire d’amour se terminant mal à une histoire saugrenue où le comique voir même le vulgaire viennent prendre le devant de la scène, grâce à un mélange de sentiments et d’émotions, que l’on comprend être ceux de l’auteur lui-même.