Il s’agit d’un roman raconté sous la forme de mémoires fictives de l’empereur romain Hadrien (76-138), successeur de Trajan en 117, jusqu’à sa mort. Il fait partie de la dynastie des Antonins. Il est connu pour sa philosophie pacifiste et son érudition. L’auteure a choisi la technique de l’épistolaire, et partant de son énonciation particulière, puisque ce roman n’est autre qu’une longue lettre testamentaire adressée à Marc-Aurèle, petit-fils adoptif de l’Empereur, appelé à lui succéder.
Cette longue missive propose une introspection du vieil empereur qui sait sa mort venir. Il s’y confesse, notamment lorsqu’il évoque sa passion amoureuse pour Antinoüs, son jeune amant. Cette lettre se construit de méditations, réflexions philosophiques, mais aussi artistiques sur la musique, la poésie. L’empereur procède à un retour sur sa vie qu’il sait accomplie.

I- Contexte d’écriture

Marguerite Yourcenar écrit ce roman lorsqu’elle est une femme d’âge mûr, alors que cette idée lui était venue dans la jeunesse mais le sujet lui paraissant trop important : elle le relégua à plus tard.
Son point de départ et d’inspiration est une citation de Gustave Flaubert : « Les dieux n’étant plus et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l’homme seul a été » (Correspondance, tome 3, Gallimard).

II- Résumé

Les Mémoires d’Hadrien se compose de six parties aux titres latins, qui sont autant de devises monétaires de l’époque.

1) Animula vagula blandula = petite âme, petite vague, petite tendresse

Dans cette partie, les principes de vie d’Hadrien sont exposés, permettant au lecteur de faire la rencontre de l’empereur : il peut y lire que l’empereur mène une vie saine, toute de sobriété mais qui n’en demeure pas moins en proie aux énigmes de l’amour. Hadrien se souvient de ses passions comme la chasse ou l’équitation auxquelles il doit renoncer à cause de son âge. L’empereur se livre aussi sur ses douleurs liées à la vieillesse, à la mort qui approche, ses insomnies notamment. Puis, le déroulement de la vie d’Hadrien s’opère sur le mode chronologique.
Le projet est alors exposé : il s’agit d’une écriture de soi, et, partant, d’une réflexion sur l’existence humaine.

2) Varius multiplex multiformis = varié, complexe et changeant

Hadrien y décrit sa jeunesse, ses études, sa qualité de juge à Rome, les guerres daciques, la guerre contre les Parthes, son rôle de gouverneur en Syrie. Hadrien succède à Trajan qui signe un acte d’adoption : il devient empereur. Le titre de cette section correspond au portrait de lui-même qu’établit Hadrien.

3) Tellus stabilita = la terre retrouve son équilibre

Le début du règne est alors évoqué, marqué par la modération. Il parvient à la paix dans l’Empire (les Parthes, les Sarmates, en Egypte), mène une politique de réformes, de développement des infrastructures aux frontières (les limes), fonde des villes, améliore les conditions des esclaves.
Il voyage dans tout l’Empire afin de marquer sa présence et consolider la paix, sans pour autant mener une politique de conquête. Cette partie est le lieu d’interrogations sur soi-même et sur l’autre.

4) Saeculum aureum = le siècle d’or

Dans cette partie, Hadrien rédige un véritable mausolée amoureux à l’égard de son jeune amant bithynien Antinoüs. Il y décrit leur histoire d’amour qui prend fin avec la mort d’Antinoüs qui se suicide. Hadrien évoque aussi la mort de Plotine. La connaissance de soi dans l’amour puis dans l’épreuve parachève l’introspection d’Hadrien.

5) Disciplina augusta = la discipline auguste

L’empereur continue ses voyages. Il continue de promulguer des lois afin de pacifier et stabiliser l’empire, il développe l’administration de l’Empire (l’Edit perpétuel). Cette partie s’étend jusqu’à la vieillesse d’Hadrien. Le lecteur peut y lire l’essor du christianisme ou encore la révolte juive de Bar Kokhba (132-135), soit la seconde guerre judéo-romaine. Il adopte Antonin, avec l’objectif que celui-ci adopte Marc-Aurèle. Cette errance signifie celle de l’âme d’Hadrien qu’il entend explorer.

6) Patientia = patience mais aussi endurance

Cette dernière partie aborde les préoccupations d’un homme vieillissant qui sait sa mort arriver. Il envisage le suicide, veut endurer plus encore la souffrance mais finit par ressentir son âme qui n’est plus liée à son corps. La perception de soi-même comme un autre est alors à l’œuvre.

III- Personnages principaux


Hadrien

Il est bien cet « homme multiple » du titre de la deuxième partie. Il trouve le recul nécessaire dans la vieillesse pour écrire cette lettre à son successeur, en lui faisant part de ses expériences tel un exemplum, mais aussi de ses sentiments, de son lyrisme, de ses pensées et réflexions de tous ordres. L’empereur évolue au fil du temps et le lecteur peut lire ces différentes strates de l’évolution du moi, et par conséquent, de l’existence humaine.
Sa diversité intrinsèque provient de ses voyages, de ses différentes langues maîtrisées, de son ouverture : il est soi-même et l’autre à la fois, mais aussi étranger à soi-même comme aux autres.
Il est aussi un homme politique mais non un despote : au contraire, il prône la modération et la paix. Son empire est la métaphore de son être : Hadrien y explore toutes les contrées, jusqu’aux limes, comme étranger à soi-même.

Antinoüs

La relation entre Hadrien et Antinoüs correspond à la pédérastie antique grecque qui est une institution morale et éducative à l’époque : partageant son amour, Hadrien partage aussi son savoir avec son jeune amant. Antinoüs se suicide, par noyade, en un geste sacrificiel qui marquera à jamais Hadrien, du moins dans le roman.

Plotine

Elle est la femme de Trajan et l’amie d’Hadrien. Les femmes n’avaient que peu de place dans la sphère publique, c’est pourquoi elles n’ont que très peu d’importance dans ce roman (même si Hadrien est marié à Sabine, ou qu’il a une sœur prénommée Pauline).


IV- Notions

Ce roman prend racine dans des sources historiques sur lesquelles Marguerite Yourcenar s’est longuement documentée. Cependant, il s’agit bien d’un roman et ses choix narratifs relèvent de l’épistolarité et du biographique.
La dimension testamentaire des Mémoires d’Hadrien se remarque aussi dans cette évolution romanesque cyclique : le vieillissement et la mort encadrent le début et la fin du roman, deux « je » se lisent donc en filigrane.
L’auteure a choisi un personnage tolérant, capable de mener une rétrospection lucide sur sa vie et sur ses désillusions, notamment concernant la nature de l’Homme, mêlant ainsi connaissance de soi et connaissance de l’humanité dans ce roman philosophique. Rappelons que le roman paraît six ans après la découverte des horreurs nazies. Le roman est alors proche du genre de l’essai, par ses analyses successives, contradictoires et/ou complémentaires. Dès lors, Hadrien saisit « soi-même comme un autre » (Paul Ricoeur).
Le style « classique », « togé » (« un style soutenu, mi-narratif, mi-méditatif », Marguerite Yourcenar, « Le Roman historique », NRF, 1972) de Marguerite Yourcenar détone avec celui du Nouveau Roman alors en cours : les titres en latin, les rythmes binaires et ternaires, la structure qui n’est pas sans rappeler celle de l’art rhétorique. La solennité de ton se voulant vectrice d’universalité. Sa modernité tient plutôt dans le jeu des points de vue employés dans le roman. Marguerite Yourcenar parlera même d’un « portrait d’une voix ».


Marguerite Yourcenar, qui apprend le latin à 10 ans et le grec à 12 ans, est la première femme à avoir été élue à l’Académie française en 1980.