Ce poème est une prosopopée : le poète utilise le discours indirect pour donner sa voix au vin auquel il s'identifie. Le vin confie à celui qui le boit sa résurrection dans les sphères d'une poésie qu'elle a inspirée.

L'analyse de ce poème amène donc à se demander : comment Baudelaire montre-t-il la symbiose entre le vin et l'homme ?

On verra à travers l'étude de ce poème que le vin est d'abord considéré comme une chose matérielle, à travers sa production et sa consommation ; mais l'on verra que Baudelaire en fait également un être animé qui devient son interlocuteur ; enfin, on verra que le vin est une manière d'atteindre le paradis.

 

I. Une chose matérielle

Baudelaire présente le vin sous son aspect matériel, en évoquant sa production et sa consommation par l'homme.

La fabrication du vin est décrite à travers le dur travail que cela nécessite, souligné par l'énumération (« De peine, de sueur et de soleil cuisant »), et le parallélisme (« Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme ». Le vin est représenté à travers le champ lexical du confinement : « dans les bouteilles », « sous ma prison de verre et mes cires vermeilles », « dans mes froids caveaux ». Le terme « caveaux » est une syllepse, car il désigne une cave à vin ou une sépulture. La périphrase « Les coudes sur la table et retroussant tes manches » fait référence à l'homme usé par la production du vin. Mais cette fois, il le fait pour boire.

La consommation du vin est aussi décrite. La périphrase « tombe dans le gosier (…) usé par ses travaux » laisse entendre que le vin est bu par l'homme après une dure journée de travail. Le vin éprouve de la joie à être bu, on le comprend grâce à l'hyperbole « joie immense » (v. 9) et à la métaphore et oxymore « douce tombe » (v. 11) qui renvoie à la poitrine de l'homme. Les organes de « l'homme usé », son « gosier », sa « poitrine », contrastent avec la présence spirituelle du vin : « je tombe », « je me plais bien mieux ». Le vin se sent mieux à l'intérieur d'un corps que dans une bouteille.

 

Le vin n'est pas qu'une chose matérielle pour le poète, mais aussi un être animé.

 

II. Un être animé

Dans ce poème, le vin est également représenté en être animé, interlocuteur privilégié de l'homme.

La personnification présente dans le titre l'est dès le premier vers : « L'âme du vin chantait ». Le vin aime son «  cher » buveur et le juge « déshérité » (au sens de celui qui ne peut jouir du bonheur qui lui est dû, ce qui justifierait la boisson). Libéré de sa « prison » que représente la bouteille, le vin « pousse (…) un chant plein de lumière et de fraternité », donc à boire. Il sait ce qu'il doit aux « travaux » de l'homme pour lui donner vie, d'où son discours compréhensif : « je ne serai point ingrat ni malfaisant ». Il éprouve même du bonheur à tomber dans son « gosier » et sa « poitrine », qui est une synecdoque pour le coeur. Le vin va jusqu'à confondre son « sein palpitant » avec celui du buveur.

Le vin ainsi personnifié devient même prophète, prédicateur. La « douce tombe » dans la troisième strophe est un oxymore qui traduit le sacrifice du vin et rappelle l'eucharistie. Des éléments mystiques sont attribués au vin dans les deux derniers quatrains : « Dimanches », le jour du Seigneur, devient un jour pour boire ; le verbe au futur « glorifieras » souligne l'adoration de l'homme pour cette boisson ; « végétale ambroisie » désigne la boisson des dieux de la mythologie ; enfin, le « Grain précieux jeté par l'éternel Semeur » représente les grains de raisin jetés par Dieu sur la terre en tant que créateur de l'Univers.

 

Le vin n'est pas uniquement considéré comme l'interlocuteur privilégié de l'homme. Il représente aussi un paradis pour lui.

 

III. Un paradis pour l'homme

Selon le poète, le vin est une boisson qui permet d'accéder au paradis grâce à son pouvoir enivrant.

Le vin est revigorant. Il est comparé à une « huile qui raffermit les muscles des lutteurs, donnée à « l'homme usé par ses travaux » ou au « frêle athlète de la vie » pour le rendre plus fort et plus heureux comme en témoignent la « femme ravie » et le « fils » qui retrouve force et couleurs. Au vers 1, l'imparfait narratif « chantait » et la périphrase « refrains des dimanches » au vers 13 désignent l'un des effets les plus courants causés chez l'homme par la consommation du vin.

Le vin procure de la joie et de l'inspiration. La première strophe écrite à l'imparfait installe le décor, comme un conte, propice à cette joie : le soir, le chant et les bouteilles. À partir du quatrième quatrain, la joie transparaît dans les connotations de gloire, d'oiseaux qui chantent (« un espoir qui gazouille »), de triomphe (« entends-tu retentir »). Le vin procure ainsi l'inspiration poétique. Au dernier vers, la « rare fleur » est la poésie, paradis naturel, à laquelle le vin peut nous aider à accéder, sorte de bonheur quotidien et accessible.

 

 

En conclusion, dans L'âme du vin, le vin est libéré de son aspect matériel et devient un interlocuteur privilégié pour l'homme jusqu'à être considéré comme un paradis artificiel et accessible où l'homme se réfugie pour échapper à la réalité. Le vin est une fleur du mal, car il est capable d'éloigner l'homme du droit chemin. Ce poème possède donc un caractère immoral du point de vue chrétien. Par ailleurs, le poème met en exergue l'alchimie que représentent l'exaltation du vin et celui qui la boit. Grâce au vin, Baudelaire fait de chacun un poète.


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