Triple enjeu diplomatique
Officiellement, la visite de Giorgia Meloni répond à un triple enjeu diplomatique. À l’échelle internationale tout d’abord, il est question de l’organisation du Sommet de l’OTAN qui se tiendra à Vilnius les 11 et 12 juillet 2023.
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La rencontre est également l’occasion de réaffirmer un soutien diplomatique et militaire commun à l’Ukraine. À l’échelle européenne ensuite, le communiqué de l’Élysée parle évasivement d’« aborder les questions européennes » – et probablement, au premier chef, l’immigration –, et de « préparer le Conseil européen qui se tiendra à Bruxelles le jeudi 29 et vendredi 30 juin prochain ». Enfin, à l’échelle franco-italienne, l’entretien est consacré à la mise en œuvre du Traité du Quirinal. Ce traité, dont Emmanuel Macron prend l’initiative dès 2018, est abandonné sous la présidence de Giuseppe Conte, réticent au projet, puis relancé sous Mario Draghi, qui le signe le 26 novembre 2021. Il s’agit d’assurer une coopération entre France et Italie concernant les affaires étrangères et européennes, la gestion des frontières et de la sécurité, les questions économiques et industrielles. Le traité du Quirinal constitue en quelque sorte le pendant à l’amitié franco-allemande : il rend à l’Italie une place de premier plan dont le couple franco-allemand l’excluait jusqu’alors. Cette alliance vise ainsi à contrebalancer le poids de l’Allemagne au sein de l’Union. C’est du moins l’analyse qu’en dresse Jean-Pierre Darnis : « On voit bien qu’entre la France et l’Allemagne en ce moment c’est pas folichon », commente-t-il, si bien que France et Italie ont tout intérêt à constituer une alliance sur le plan économique. Une certaine coopération franco-italienne sur le plan économique préexiste d’ailleurs au traité, avec des alliances entre des firmes comme Airbus et Finmeccanica, Thales et Leonardo, Essilor et Luxottica, PSA et FCA.
Affaire Ocean Viking et gel diplomatique
Cependant, la France et l’Italie sont dans une phase de dégel, qui fait suite au gel diplomatique survenu après l’affaire du navire Ocean Viking de SOS Méditerranée. Ce bateau, bouté hors des frontières italiennes, est finalement arrivé à Toulon au mépris du droit international. L’Italie se retrouve alors exclue du Club Méditerranée de Bruxelles, et fait l’objet d’une condamnation française. Les déclarations du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin à l’encontre du gouvernement italien n’apaisent pas la situation. Suivant un modus operandi désormais coutumier, il accuse Giorgia Meloni de mollesse, et se flatte d’être plus efficace qu’elle pour réduire l’immigration. Suite à cette polémique, une visite d’Antonio Trajani (Forza Italia) est annulée. La rencontre du 20 juin est donc aussi l’occasion pour les deux pays de mettre en scène leur réconciliation. Le rayonnement artistique de l’Italie sert de prétexte à cette mise en scène : Giorgia Meloni, soutenue par le maire de Rome, profite de sa visite pour intervenir à l’Assemblée Générale du Bureau International des Expositions afin de soutenir la candidature de Rome à l’Expo 2030. Le 7 juin, le président Sergio Mattarella avait déjà initié un rapprochement avec la France à l’occasion d’une exposition artistique au Louvre intitulée « Naples à Paris, le Louvre invite le Musée de Capodimonte ».
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Affirmation de l'Italie sur le plan culturel
Pour Giorgia Meloni, il s’agit donc aussi d’affirmer le prestige italien y compris sur le plan culturel. Outre les enjeux diplomatiques du traité, la rencontre avec le président Macron répond peut-être à un enjeu électoral sous-jacent. En mettant en scène le dégel de ses relations avec le pays des droits de l’Homme, elle peut se défaire des accusations en fascisme auxquelles elle est confrontée, suivant une logique de dédiabolisation déjà éprouvée à l’extrême droite. Cela expliquerait que l’Italie ait imposé comme condition à l’entretien qu’il fasse l’objet de déclarations à la presse, alors que la France s’y opposait. L’article du Corriere della Sera précise que ce détail a fait l’objet d’âpres discussions jusqu’à la veille de la rencontre. C’est qu’à l’inverse de Giorgia Meloni, le président Macron n’a pas intérêt à la mettre en scène. Au contraire, l’article de La Croix souligne que la première ministre n’a pas été reçue avec tous les égards que requiert le protocole. Jean-Pierre Darnis constate même une « différence de traitement […] patente » par rapport au président d’Arabie Saoudite reçu le 16 juin à l’Elysée. « Emmanuel Macron a besoin de s’opposer à Giorgia Meloni », explique Marc Lazar à L’Express. En effet, si la victoire électorale d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen repose sur sa supposée lutte contre le fascisme, il risque d’affaiblir cette position par une entente trop cordiale avec une femme politique italienne qui a souvent été comparée à la présidente du Rassemblement National. L’article du Corriere della Sera insiste sur la perspective des élections européennes : Giorgia Meloni, présidente des Conservateurs et Réformistes Européens, travaille à une alliance avec le Parti Populaire Européen pour l’emporter sur la majorité d’Ursula von der Leyen. Le journal communiste L’Unità va jusqu’à qualifier la rencontre entre les deux chefs d’État de Telenovela où la question migratoire est traitée comme « l’instrument clef de la campagne électorale permanente de chacun ». Les enjeux diplomatiques sont réduits à des postures électoralistes : « Comme dans toutes les Telenovelas, il ne se passe jamais rien d’irrémédiable : un coup ils se haïssent, le coup d’après ils s’aiment ».
La rencontre entre Giorgia Meloni et Emmanuel Macron qui s’est tenue au palais de l’Élysée le 20 juin 2023 répond à des enjeux diplomatiques à l’échelle des deux états, mais aussi à l’échelle de l’Europe. Le couple franco-italien affirme un besoin de collaboration notamment économique, et d’affirmation notamment face à l’Allemagne. Au-delà des enjeux du traité, la mise en scène de la rencontre répond aussi à des enjeux diplomatiques, puisqu’elle intervient dans le cadre d’un dégel des relations entre les deux États. Cette mise en scène peut également être interprétée sous un angle électoraliste : les images d’Emmanuel Macron, président qui s’est fait élire à deux reprises pour faire barrage à l’extrême droite, serrant la main de Giorgia Meloni, constituent en effet un symbole qui peut soit satisfaire la présidente du conseil en quête de légitimation démocratique, soit inquiéter les électeurs français.
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