En 1990, il obtient une bourse d’écriture à la Villa Médicis de Rome : il rédige alors la pièce Juste la fin du monde, qui est alors refusée par les comités de lecture. De son vivant, Jean-Luc Lagarce ne sera pas reconnu comme écrivain mais plutôt comme metteur en scène. Il meurt du Sida en 1995.

I - Contexte d’écriture

En 1988, Jean-Luc Lagarce sait qu’il va mourir. Il est séropositif et aucun traitement, à l’époque, ne peut le sauver. Il avait eu l’idée d’une pièce, intitulée Les adieux, puis Quelques éclaircies, et qui deviendra Juste la fin du monde.

II - Résumé

L’économie de la pièce s’ouvre par le thème éminemment biblique du retour du fils prodigue, alors que ce dernier sait qu’il va mourir. Non-dits, quiproquos pathétiques, voire tragiques, définissent la communication inaboutie entre les différents personnages de cet huis-clos. Louis ne parviendra pas à se confier à ses proches. Il partira sans que sa famille ne sache qu’il est mourant.
Chacun tenant un rôle-type, tous les personnages s’inscrivent au regard du personnage principal, qui est tour à tour et simultanément, le fils prodigue, le frère aîné, le frère ayant quitté la sphère familiale, le beau-frère inconnu. Chacun vit à la fois une crise personnelle et une crise familiale.

III - Personnages principaux

Louis

Louis est un écrivain de 34 ans. Il est mourant, veut l’annoncer à sa famille et revient après une dizaine d’années d’absence. Il est finalement davantage celui qui se tait que celui qui prend la parole. Il semble constamment sur le départ.

La mère

Elle semble comme en-dehors, elle n’a d’ailleurs pas de prénom. Elle est représentée par sa fonction de « mère », alors que, ironiquement, elle est défaillante : même si elle tente de conseiller son fils, elle ne se souvient même plus de sa date de naissance. Elle ne veut rien entendre, au double sens du terme, à ce qui se joue dans le cercle intime de sa famille.

Antoine

Il est celui qui est resté, et qui a donc assumé toutes les charges de la famille. Ce personnage est paradoxal, il se sent humilié par la témérité de son aîné qui a su partir pour se construire, mais a pourtant choisi de prénommer son propre fils comme ce frère lointain. Mais aussi comme son père, personnage dont l’absence a laissé des traces. Antoine est brutal dans ses propos comme dans ses gestes.

Suzanne

Elle est la jeune sœur qui cherche à connaître Louis, même si les années de séparation les ont rendus inconnus l’un à l’autre. Elle veut être dans l’action mais c’est toujours le récit qui l’emporte, puisqu’elle oppose sa logorrhée au silence de Louis, ce qui rappelle « les cartes elliptiques » qu’il lui envoyait, lui, l’écrivain.

Catherine

Epouse d’Antoine, elle est comme privée de la parole alors qu’elle souhaite apaiser les tensions. Elle est celle qui communique le plus pacifiquement avec Louis : leurs échanges, de prime abord plats, révèlent la profondeur de la crise personnelle des personnages, et, partant, de la crise familiale qui explose.

Le langage

Le langage est finalement celui qui fait avancer la pièce puisqu’aucune action n’est décelable. A travers différents procédés, dialogues avortés, monologues n’invitant pas à la discussion mais enfermant les propos, reprises de propos qui n’aboutissent pas, le langage est au cœur de Juste la fin du monde.

IV - Notions

Le soubassement biblique est très prégnant dans cette œuvre. Louis figure le fils prodigue à qui l’on profère des reproches, il représente aussi avec son frère la rivalité entre Abel et Cain, témoignant d’une crise familiale sourde.
La pièce a trait aussi à la tragédie antique, comme l’attestent le prologue, l’épilogue ou le personnage du messager représenté par Louis lui-même. Le spectateur sait que le destin de Louis se jouera devant lui, et que sa mort se jouera hors-scène (le prologue fera revenir Louis, mort).
Louis, même s’il est un homme ordinaire, fait figure de héros antique et tragique, face à son destin, ce qui fait de lui un personnage noble. Son prénom est d’ailleurs celui d’une lignée, son père et son neveu ayant hérité du même prénom.
L’unité de temps (« un dimanche évidemment », jour du repos chrétien, jour de réunions familiales) et l’unité de lieu (« la maison familiale ») semblent structurer la pièce à caractère tragique.


Le théâtre de Jean-Luc Lagarce est marqué par l’absurde, où le manque d’action est paradoxalement fondateur et où les personnages ne sont pas des héros. Dès lors, une identification du lecteur-spectateur, au sens brechtien, s’opère parce que Lagarce montre la condition humaine, la vraie, celle du quotidien, celle des relations interpersonnelles. Et c’est seulement, c’est « juste » la fin du monde : rien de plus absurde que cette situation-là, minimisée dès le titre.
Paradoxalement, le langage lui-même devient incommunication et incommunicabilité, les mots étant vides de sens, les paroles, quand elles sont écoutées, ne sont pas entendues. Et parfois, elles ne sont même pas prononcées. Pourtant, le style de ce texte, fondé sur les épanorthoses, est tout à fait particulier : les personnages se reprennent les uns les autres, mais aussi s’autocorrigent, à la recherche du terme le plus juste possible. L’art du dialogue lagarcien est souvent proche de l’insaisissable, parce que finalement, l’essentiel n’est jamais exprimé, un peu comme chez Beckett. Le langage en construction se donne à voir, tout autant que les personnages eux-mêmes, laissant le spectateur dans une attente de la révélation, qui n'aura finalement pas lieu. C’est ce que Nathalie Sarraute a dénommé un logodrame, c’est-à-dire un théâtre du langage.


Conclusion

Traduit en plusieurs langues, Jean-Luc Lagarce est devenu après sa mort un dramaturge français de renom. Juste la fin du monde sera au répertoire de la Comédie française en 2008. Le réalisateur Xavier Dolan l’adaptera au cinéma en 2016, obtenant le Grand prix du Festival de Cannes, avec pour rôle-titre le regretté Gaspard Ulliel, César du meilleur acteur.